I’m not there (2007) de Todd Haynes avec Christian Bale, Cate Blanchett, Heath Ledger, Charlotte Gainsbourg, Richard Gere, Julianne Moore

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Avec Velvet Goldmine et son tableau décalé de la scène « glam rock » du début des années 70 en Angleterre, Todd Haynes s’était déjà inspiré d’un chanteur (en l’occurrence, David Bowie) pour élaborer une fiction éclatée en mille paillettes. Avec I’m not there, il récidive en offrant au spectateur un portrait de Bob Dylan qui tranche néanmoins avec toute les biographies filmées qu’on a pu voir jusqu’alors.

Le titre l’annonce d’ailleurs ironiquement : I’m not there est un film sur Dylan sans Dylan, dont le nom ne sera jamais prononcé. Plutôt que de reconstituer pas à pas la carrière d’un chanteur dont le style a beaucoup évolué au cours des années (c’est à peu près la seule chose que je peux vous dire à propos du vrai Dylan que je n’ai jamais écouté, à l’exception peut-être de deux ou trois titres), Haynes fait le pari de faire incarner les différentes facettes de l’homme par six acteurs différents, dont un enfant noir et une femme (Cate Blanchett).

Ce que les critiques ont assimilé un peu rapidement à un coup de génie me paraît, quant à moi, un simple tour de force scénaristique finalement pas très original (puisque l’homme a de multiples facettes, démultiplions les comédiens qui vont endosser les différents aspects de sa personnalité). Mais force est de constater que le cinéaste parvient, pour le meilleur et pour le pire, à tenir la ligne directrice qu’il s’est fixé et à mener son projet à bon port.

Ce qui séduit dans I’m not there, c’est son côté hétéroclite puisque le cinéaste mêle des scènes finalement assez classiques de « biopic » (les scènes entre Dylan et sa femme interprétée par Charlotte Gainsbourg) à des images de « faux documentaire », navigue entre le portait impressionniste éclaté et le clip et ses tics, entremêle des personnages réels (Allen Ginsberg) à d’autres qui ne le sont pas, même s’ils sont inspirés d’individus que Dylan a côtoyés…

Chaque acteur incarne une facette de Bob Dylan : l’enfant noir est nommé Woody Guthrie et montre un Dylan voulant devenir chanteur comme son idole à qui il a emprunté son nom. De la même manière, nous verrons Dylan sous le masque d’Arthur Rimbaud (le poète maudit), de Billy the Kid (sous les traits de Richard Gere) ou encore dans la peau d’individus représentant sa période « folk » (Christian Gale) ou « rock » (Cate Blanchett a la lourde charge d’interpréter le Dylan considéré comme vendu par les fans de la première heure et ayant abandonné son costume de chanteur contestataire).

L’inventivité du montage qui parvient à combiner ces éléments disparates pour former un patchwork plutôt bien mené (même si on peut déplorer quelques longueurs sur la fin) est l’un des points forts du film. De manière pointilliste, Haynes parvient à reconstituer un portrait sensible (sans doute lacunaire et partiel) d’un chanteur aujourd’hui rattrapé par le mythe.

 

La limite d’I’m not there, c’est le côté « paillettes » du cinéma de Todd Haynes depuis Velvet Goldmine. Considérant sans doute (il n’a peut-être pas tort !) que le cinéma ne peut plus raconter une histoire de manière traditionnelle, avec un début et une fin ; que la linéarité narrative empêche de (re)construire un personnage ou un tableau de l’époque dans toute sa complexité ; le cinéaste nous offre désormais des bribes, des morceaux du puzzle en restant d’ailleurs souvent à la surface (c’est cette impression que donne le montage hétéroclite de l’œuvre). Ce type de mise en scène produit à la fois des séquences très réussies (pour ma part, j’aime beaucoup les scènes où Dylan est enfant) mais n’évite pas toujours l’écueil de séquences à la limite du clip branché et « arty », sans réel profondeur (ça ressemble parfois à du Gondry !).

Reste néanmoins l’intérêt de voir se dessiner en creux un tableau de l’Amérique et de ses contradictions comme dans certains de ses films précédents. On se souvient de Safe (l’œuvre la plus réussie du cinéaste), petite merveille contemporaine où Haynes filmait avec une rare acuité le délire hygiéniste de nos sociétés contemporaines et la peur de la contamination par l’Autre. On retrouvait cette peur d’autrui dans le beau mélo Loin du paradis, relecture « explicite » des grandes œuvres de Sirk (dans la mesure où ce qui était sous-jacent chez l’auteur de Mirage de la vie était clairement montré dans Loin du paradis que je n’ai d’ailleurs  pas revu depuis sa sortie. Je me demande si cette « clarification » ne risque pas de jouer en la défaveur d’Haynes…). 

Dans I’m not there, on retrouve cette tension entre un idéal de liberté cher aux américains et les normes et conventions étouffantes de la société (voir le moment où Dylan choque une assemblée en recevant un prix complètement saoul). Se côtoient ici la poésie contestataire (Dylan mais aussi Ginsberg et l’ombre de Rimbaud) et l’assassinat de Kennedy, le bouillonnement intellectuel et artistique de la fin des années 60 et les sinistres heures de la guerre du Viêt-Nam… Tout cela n’est jamais démonstratif et, pour le coup, Todd Haynes s’en sort plutôt bien.

On aimerait juste qu’il abandonne un peu le clinquant de son brio pour « creuser » derrière cette surface brillante et ces paillettes et nous procurer des émotions plus profondes…

 

 


 

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