Au bord la mer bleue
A propos de la Grèce (1985) de Gérard Courant avec Eli Melopoulou
Au premier abord, A propos de la Grèce se rapproche des premiers films expérimentaux de Gérard Courant (Cœur bleu, Aditya…) : une réalisation en Super 8 (il a tourné ces images lors d’un voyage en Grèce qu’il effectua en 1983), pas de récit ni de dialogue ou de son direct mais une bande sonore très travaillée à base de musiques et bruits divers.
A propos de la Grèce est une sorte de carnet de voyage très personnel et constitue un chapitre parmi d’autres du monumental « journal intime » que Courant a entrepris depuis plus de 30 ans. Une question se pose face à ce type de projet à la lisière du « film domestique » : qu’est-ce qui justifie une projection « publique » d’une œuvre qui, a priori, pourrait relever du strict cercle familial et amical ? (le très beau format Super 8 fut d’ailleurs une sorte d’ancêtre de la vidéo pour les films familiaux).
Au bout de quelques minutes, on comprend vite que de ce matériau intime Courant parvient à faire une véritable œuvre cinématographique. Il ne s’agit pas ici d’un simple « film de vacances » mais d’un véritable travail de mise en forme de ces images qui passe par le montage (très musical, avec un système assez complexe de rimes visuelles, de boucles et de césures) et la texture même de la pellicule.
Alors que des films comme Cœur bleu et Aditya se concentraient principalement sur des figures féminines, À propos de la Grèce est un véritable film de paysages, où l’être humain n’occupe qu’une portion congrue. A part quelques quidams filmés à la dérobée dans une rue grecque et une femme nue (une sirène ?) se baignant dans la mer ; c’est la nature qui domine dans ce film : la mer principalement, mais aussi le soleil, les arbres, la terre… Rien de « touristique » dans cette œuvre qui rappelle, montage accéléré et heurté oblige, le cinéma de Jonas Mekas dont Courant n’a peut-être jamais été aussi proche.
Le cinéaste joue également avec la matérialité même de la pellicule. Lorsqu’il filme en gros plan les reflets du soleil sur la mer et qu’il décompose ses images, il obtient des plans quasi abstraits, symphonie de formes et de lumières qui évoque d’autres cinéastes expérimentaux comme McLaren ou Len Lye.
Cette tension permanente entre le côté « domestique » du film et ses aspects poétiques et abstraits en fait toute la beauté étrange et envoûtante.
A propos de la Grèce incite aussi à faire quelques remarques sur l’évolution du cinéma de Courant. Comme dans ces premiers longs-métrages, le cinéaste pratique ici un cinéma «impressionniste », qui cherche avant tout à fixer sur pellicule des sensations, des couleurs, de la lumière, du mouvement. Il en résulte un sentiment de fugacité et d’insaisissabilité du Réel.
Aujourd’hui, ses « carnets filmés » cherchent d’abord à fixer des traces, du tangible (les rues des villes, des promenades filmées en temps réel…) Aux montages kaléidoscopiques des débuts a succédé un goût pour le plan-séquence hérité (en quelque sorte !) des frères Lumière.
Du coup, ce cinéma est devenu plus mélancolique, plus sombre alors que ce qui frappe en regardant A propos de la Grèce (c’est sans doute le pays qui veut ça !), c’est sa luminosité et son lyrisme échevelé.
Ce séjour grec est sans doute marqué du sceau de l’éphémère mais il n’empêche qu’il s’en dégage une sensation de bonheur et de beauté qui séduit encore aujourd’hui…