20000 jours sur terre (2014) de Iain Forsyth et Jane Pollard avec Nick Cave. Sortie le 24 décembre. (Carlotta Films)

 20-000-JOURS-SUR-TERRE-02.jpg

® Carlotta Films

 

Une voix-off, un commentaire très écrit, des images léchées, un montage assez sophistiqué, à la limite du maniérisme « arty » : dès les premiers plans de ce documentaire consacré à la star du rock Nick Cave, on comprend que les auteurs ne cherchent en aucun cas à saisir une vérité « sur le vif » ou à faire un portrait didactique du chanteur. Il conviendrait d'ailleurs plus d'écrire qu'il s'agit d'un documentaire avec Nick Cave plutôt que sur Nick Cave tant cette journée imaginaire en sa compagnie paraît minutieusement réglée.

Ce parti-pris a ses limites : pour un spectateur comme moi qui ne connaît absolument pas le chanteur et son œuvre (je le confesse humblement, sans la moindre forfanterie), le film n'apporte pas grand chose et ne permet pas de se familiariser avec la musique de Cave. On voit le musicien s'entretenir avec des proches mais on ne nous les présente pas, présumant que l'initié les connaît déjà (oserai-je l'avouer ? Je n'ai pas reconnu Kylie Minogue!)

Cette mise en scène très contrôlée avec une petite touche estampillée « Sundance » (où le film a été primé) qui se traduit par des plages plus contemplatives, des envolées lyriques en voix-off, des effets de montage spécieux donnent parfois au film un côté assez affecté qui peut irriter.

 

Pourtant, en dépit de ces indéniables défauts, 20000 jours sur terre parvient à attirer l'attention. D'abord parce que les cinéastes (qui viennent visiblement du monde de l'art contemporain) prennent le temps de filmer Nick Cave au travail. Sans connaître à proprement l’œuvre musicale de l'artiste, c'est toujours intéressant de le voir tâtonner, grattouiller quelques vers sur un bout de papier, jouer quelques notes de piano et enregistrer en studio (parfois avec un chœur d'enfants). Lors de ces moments, on songe à ce que Godard a fait avec les Rolling Stones (One + One) et les Rita Mitsuko (Soigne ta droite).

 

Ensuite, parce qu'ils arrivent parfois, au détour d'un raccord intelligent entre les paroles de Nick Cave et les images à saisir quelque chose de la personnalité du chanteur. Je pense à ce moment où il évoque les images de femmes qui l'ont marqué et qu'elles défilent sur un petit écran le temps d'un montage assez virtuose. Je pense surtout à la fin du film où Cave évoque son rapport très particulier aux « premiers rangs » du public pendant les concerts. Après avoir souligné cette connivence bâtie sur un mélange savant de « terreur » et de fascination, le film enchaîne sur des images réellement impressionnantes d'une prestation en concert de la star. Du coup, celles-ci acquièrent une dimension qu'ont rarement les captations de « concerts filmés ». Elles mettent en valeur la moindre intonation, le moindre geste, le moindre regard de Cave. Du coup, on en arrive presque à regretter que 20000 jours sur terre ne se concentre pas davantage sur ces performances scéniques et qu'il s'attarde presque trop sur les états d'âme du chanteur (son rapport au père, à la religion, à l'imaginaire...) ou sur un passé qu'il évoque en commentant des photos ou en dialoguant avec ses proches.

 

Car ce qui touche dans ce film, c'est moins le côté « portrait intime » que l'on peut trouver un peu trop maniéré et allusif pour ceux qui ne connaissent rien de l’œuvre de Cave que la manière dont s'articulent la sphère privée (relativement protégée quand même) et la sphère publique. Lorsque le musicien confronte son « monde intérieur » (avec un côté démiurge qu'il revendique) à la réalité, que ce soit les séances de travail (les répétitions) ou les prestations scéniques ; le documentaire semble alors plus « concret », plus touchant et beaucoup plus habité.

 

Si le résultat satisfera, à mon avis, les fidèles de Nick Cave, les autres pourront toujours goûter à ces beaux moments où, au-delà de l’œuvre elle-même, c'est le mystère de la musique et de la création que les cinéastes parviennent à capter. Pour ces instants de grâce, on ira jusqu'à pardonner toutes les scories « arty » dont le film est parfois encombré...

Retour à l'accueil