Bad trip
Enter the void (2009) de Gaspard Noé avec Nathaniel Brown, Paz de la Huerta, Cyril Roy
Tout comme Irréversible, son film précédent, Enter the void a globalement été très mal accueilli par la presse française. On aurait pourtant tort d’assimiler Gaspard Noé à cette vague de cinéastes tapageurs, nourris aux mamelles du cinéma hollywoodien le plus tape-à-l’œil et pour qui le style se réduit souvent à un montage survitaminé et épileptique (je pense aux poulains de l’écurie Besson, à Olivier Mégaton, Kassovitz ou l’abominable Jan Kounen).
Les films de Noé sont toujours éprouvants, jamais « aimables », à la limite parfois du supportable mais ils reposent toujours sur des partis pris de mise en scène que le cinéaste tient de bout en bout. Irréversible, au-delà du côté « gadget » de la narration à rebours (néanmoins traitée de manière beaucoup plus inspirée que dans le 5x2 d’Ozon), était un vrai « film vortex », construit de manière très habile puisque nous étions directement propulsé dans l’œil du cyclone (la vengeance sanglante et le viol) pour réaliser par la suite que le style du cinéaste changeait et se calmait à mesure qu’on s’éloignait du drame.
Enter the void repose également sur des partis pris très forts. Dans un premier temps, Noé joue la carte de la caméra subjective et nous place du point de vue d’un jeune dealer vivant seul avec sa sœur à Tokyo. Le film, après son générique tonitruant (et assez splendide), débute comme un long trip sous psychotropes. Contrairement à la plupart des films qui tentent de se caler sur les visions de personnages drogués (de Requiem for a dream à Trainspotting en passant par le raté Les lois de l’attraction), Noé ne joue pas sur la frénésie du montage mais privilégie au contraire les longs plans-séquences hypnotiques qui nous conduisent lentement au cœur de visions abstraites et nébuleuses.
La suite est connue : le jeune homme se fait abattre et son esprit s’élève au-dessus de Tokyo. Dans un premier temps, il va revivre les moments clés de son existence puis suivre les traces de sa sœur (strip-teaseuse) dans le magma urbain et lumineux de la mégapole.
Aucun critique n’a manqué de se gausser de la naïveté du « propos » d’un film qui évoque Le livre des morts tibétains et qui semble croire à la réincarnation.
Or il est évident que l’intérêt d’Enter the void ne réside pas là mais dans les propositions plastiques du cinéaste qui nous convie à un voyage unique en son genre (qu’on y adhère ou pas !). Au-delà d’ailleurs de ce qui saute aux yeux, à savoir le travail sur les couleurs (toujours ces teintes rouges orangées) et sur le son (où le mélange des rythmes électroniques et les nappes sonores plus abstraites parviennent à donner le sentiment au spectateur d’être directement branché sur le pouls de la ville) ; c’est davantage sur les questions de points de vue que Noé a attiré mon attention.
Une fois mort, la caméra va adopter le point de vue de l’esprit d’Oscar, ce qui justifie en quelque sorte les nombreux plans pris en plongée ou carrément à hauteur d’avion. Il s’agit encore d’une caméra « subjective » mais lorsque le jeune homme revoit les moments clés de son existence (y compris les scènes qu’on a vu au début), Noé « décadre » légèrement ses plans pour qu’il soit toujours en amorce et de dos. D’où ce sentiment de flottement qu’il parvient à créer puisque nous épousons à la fois le point de vue d’Oscar tout en étant un peu à l’extérieur (légèrement au-dessus).
Pour ma part, j’ai trouvé le film souvent fascinant par la manière totalement originale qu’il a de nous immerger totalement dans le point de vue d’un personnage qui vient de mourir. Cette caméra qui n’arrête pas de se mouvoir et de s’introduire dans tous les orifices qu’elle croise n’est pas simplement l’exhibition ostentatoire de la virtuosité du cinéaste : elle est le cœur même d’une expérience cinématographique unique en son genre.
Bien sûr, quand on fait le pari d’une expérience formelle de ce type, il faut être à la hauteur tout le temps et parvenir ainsi à révolutionner le cinéma comme purent le faire Kubrick ou Lynch (deux modèles avoués de Noé). Ce n’est pas totalement le cas d’Enter the void qui n’est pas un film sans défauts (je le concède aussi).
Primo : je ne suis pas certain que les 2h34 du film s’imposaient. Autant la première partie du récit (le « trip » puis le long flash-back sur le passé d’Oscar) est parfaitement maîtrisée et fascinante, autant certains moments de la seconde partie me semblent ratés (la longue séquence au « love hotel » où Noé flirte une nouvelle fois avec la pornographie et qui n’apporte finalement pas grand-chose à l’ensemble).
Secundo : l’hyper formalisme du cinéaste tue parfois dans l’œuf toute émotion. Noé cherche à inventer un cinéma purement sensoriel pour nous conduire à une sorte d’état second, proche de la transe (en ce sens, il se rapproche aussi des premiers films de Lars Von Trier). Du coup, le spectateur est davantage hypnotisé qu’ému lorsque ressurgissent les drames du passé d’Oscar. C’est dommage car on sent chez le cinéaste des obsessions (le couple, la maternité, l’inceste…) qu’il ne traite que de manière un peu superficielle et parfois très naïve.
On l’aura compris après ces quelques réserves : Enter the void n’est pas un chef-d’œuvre absolu mais pas non plus le ratage complet qu’on bien voulu nous décrire les critiques.
Noé est un cinéaste qui cherche et qui expérimente. Il nous propose ici un film qui ne ressemble à aucun autre et ne serait-ce que pour cette raison, il mérite le détour…
NB : Pour se mettre dans l’ambiance, activez le mode « plein écran » de la vidéo et poussez le son à fond : voilà un extrait du générique du film.