Causeries avec Vincent Nordon
Vincent Nordon par Gérard Courant (Editions de L'Harmattan)
-Vincent Nordon raconte Straub, Huillet, Pialat et Cinématon (2001)
-Vincent Nordon, Roland Barthes et Ça/Cinéma (2010)
-Vincent Nordon vous salue bien (2010)
-Vincent Nordon, Marguerite Duras, Kenji Mizoguchi et le Japon (2011)
Il serait assez simple de dresser une petite typologie des « carnets filmés » de Gérard Courant. Il y a ceux qu'il consacre tout simplement à des lieux, à l'image de ses déambulations (en un unique plan-séquence ou pas) dans des villes aussi diverses que Paris, Lyon, Dijon ou Dresde. Il y a ensuite ceux où Courant filme son quotidien et qui sont certainement ses films qui se rapprochent le plus du « journal intime » : impressions de festivals ou de voyages, instantanées de vie, rencontres diverses... Il y a ceux où le cinéaste enregistre plus précisément des personnalités en train de s'exprimer : Luc Moullet ou Philippe Garrel lors de débats cinéphiles, Dominique Noguez dissertant sur des écrivains ou encore Ingrid Caven évoquant ses collaborations avec Werner Schroeter et Daniel Schmid...
Enfin, la dernière catégorie de ces carnets pourrait être regroupée sous le terme générique de « causerie ». Il s'agit, cette fois, de tête-à-tête entre le cinéaste et la personnalité filmée. L'entretien est parfois très classique (lorsque Courant interroge Garrel et Schroeter afin de préparer les ouvrages qu'il a consacrés à ces cinéastes). Il peut aussi s'agir d'une simple discussion amicale où la forme « journalistique » disparaît au profit d'une conversation à bâtons rompus.
Les quatre « carnets filmés » que le cinéaste a consacrés à Vincent Nordon relèvent bien évidemment de cette catégorie. Régulièrement, Gérard Courant se rend à Selongey (ou Dijon) pour filmer Nordon et c'est toujours avec le même plaisir qu'on reprend le fil d'une conversation qui ne semble s'être jamais arrêtée.
Je ne reviens pas en détails sur les trois premiers films puisque j'en ai déjà parlé précédemment. Dans un premier temps (voir ici), Nordon revient sur ses années d'assistanat avec Straub et Pialat. Puis 10 ans plus tard, il évoque son projet de livre sur les époux Straub (Vincent Nordon vous salue bien) tandis que dans un troisième temps, Courant l'interroge sur les années Ça/Cinéma et sur Roland Barthes.
Dans ce quatrième épisode, Nordon commence par évoquer la production du film de Marguerite Duras Son nom de Venise dans Calcutta désert par les frères Barat puis les ennuis que connut la petite société qu'ils avaient montée (Cinéma 9) lorsque Alain Fleischer dépassa le budget alloué pour Zoo Zéro. Cela donne lieu à un récit très amusant où Nordon explique la manière dont il alla démarcher un ancien camarade de classe, héritier de la fameuse société SEB implantée à Selongey, pour récupérer de l'argent.
Je le répète : Vincent Nordon est un excellent conteur et ses souvenirs sont toujours passionnants. Après avoir évoqué les aléas d'une petite société de production, il revient sur sa découverte du cinéma japonais (la projection, non sous-titrée, du Héros sacrilège de Mizoguchi à la Cinémathèque de Langlois). Et tandis que Courant fait défiler en surimpression un autre film du grand cinéaste japonais (L'impératrice Yang Kwei-Fei), Nordon raconte sa découverte du Japon où il vécut deux ans, tente de définir le cinéaste le plus digne de représenter « l'âme japonaise », donne un petit coup de griffe par ci (Kitano est qualifié de « sombre crétin ») et un coup de cœur par là (ce sentiment de sécurité qui règne au Japon et que j'ai découvert, pour ma part, en allant en Corée).
Ce qu'il y a de passionnant dans ces conversations où Courant réinvente en quelque sorte les cafés littéraires d'antan, c'est que ce qu'elles pourraient avoir d'anecdotiques (après tout, Nordon n'est pas une « célébrité » et ses souvenirs ne pourraient regarder que lui) devient universel. D'une part en raison de la forte personnalité de Vincent Nordon (son sens de l'humour, sa grande culture, ses emportements homériques), d'autre part, parce que ses souvenirs sont liés à toute une époque du cinéma (les batailles cinéphiles, les avants-gardes, le désenchantement post-68...) et Courant ne cesse, à travers son œuvre, de conserver des traces de cette époque. A la fin de leur conversation, les deux compères se retrouvent sur la notion de Beau et cette manière dont elle a disparu de France depuis 1789 (ou table rase et modernité semblent désormais les deux seuls moteur de l'Histoire).
Ceux qui ne pensent que de manière binaire et schématique y verront des propos « réactionnaires » alors qu'ils prouvent seulement l'idéalisme et le romantisme de ces deux personnalités singulières que sont Courant et Nordon...