Cinéma et politique
Notre excellent confrère Ludovic nous propose chaque année un petit questionnaire auquel je ne peux pas résister. Voici donc mes réponses : n'hésitez pas à participer, que ce soit chez l'auteur du questionnaire, ici (dans la rubrique commentaires) ou sur votre propre espace.
1) Quel film représente le mieux à vos yeux l'idéal démocratique ?
Commençons par avouer sans la moindre humilité que l’idéal démocratique nous laisse de marbre, considérant que ce régime est souvent une forme de dictature de la majorité et nous ralliant volontiers aux déclarations du docteur Stockmann d’Un ennemi du peuple d’Ibsen lorsqu’il trompette que « la majorité a toujours tort ». Mais considérant également que ledit régime démocratique est, à ce jour (mais nous espérons toujours l’effondrement du vieux monde) le seul qui permette à toutes les pensées de s’exprimer (de moins en moins ?), nous définirons son idéal comme la possibilité qu’a l’individu de s’opposer à tous les totalitarismes, les idéologies, les partis, les chapelles... Du coup, quel plus beau symbole que ce petit barbier juif qui substitue un discours humaniste et pacifiste au discours de haine d’Hitler à la fin du Dictateur de Chaplin ?
2) Au cinéma, pour quel Roi avez-vous un faible ?
Ne tolérant la royauté que lorsqu’elle est tempérée par un régicide périodique, je dirais le roi Arthur dans Monty Python sacré Graal parce que c’est le plus drôle.
3) Quelle est la plus belle émeute, révolte ou révolution jamais filmée ?
La première séquence d’Une chambre en ville de Jacques Demy : « police, milice, flicaille, racaille » !
4) Si vous étiez ministre de la Culture, à quelle personnalité du cinéma remettriez-vous la Légion d'Honneur ?
Certainement pas un artiste qui ne devrait strictement rien avoir affaire avec un quelconque et vulgaire ministère. Alors peut-être Patrick Brion pour sa persévérance de passeur…
5) Au cinéma, quel est votre Empereur préféré ?
Le Caligula incarné par Malcom MacDowell dans le film éponyme (et complètement fou) de Tinto Brass.
6) Si vous étiez Ministre de la Culture, quel serait votre premier mesure, premier acte symbolique ou premiers mots d'un discours, concernant le cinéma ?
L’interdiction de saucissonner par des publicités les films diffusés à la télévision puis des cycles Jean Rollin et Jess Franco au Cinéma de minuit (programmé à 20h30)
7) Quel film vous semble, même involontairement, sur le fond ou sur la forme, d'inspiration fasciste ?
La définition de « fasciste » est tellement compliquée en matière d’art ! Dans sa savoureuse Défense de la série B, Alain Paucard défend ses « chers fachos » (à savoir Eastwood et John Wayne). La notion est très relative. Néanmoins, j’ai été toujours gêné par les films faisant l’apologie de l’autodéfense, notamment la sinistre saga des Justicier dans la ville avec Bronson, la plupart des films du tâcheron Joël Schumacher (notamment l’infect Chute libre). Je me souviens également d’un très brillant article de Jean-François Rauger qui qualifiait le Terminator 2 de Cameron de film « fasciste » : son argumentaire, liant le film à la « guerre propre » et sans image menée par les yankees en Irak, était très pertinent.
8) Quel est le meilleur film sur la lutte des classes ?
Parce que c’est le plus fin et le moins caricatural sur le sujet, le superbe La cérémonie de Chabrol
9) Au cinéma, qui a le mieux incarné la République ?
Puisque le Larousse définit également le mot « République » par « association de gens formant une sorte de confrérie », je citerais volontiers le génial Vous ne l’emporterez pas avec vous de Capra où les membres d’une famille s’unissent contre de cupides hommes d’affaires.
10) Quel film vous paraît le plus pertinent sur les coulisses du pouvoir dans le monde d'aujourd'hui?
Choisissons celui qui me paraît le plus récent et le plus juste en attendant une hypothétique adaptation cinématographique du Bloc de Jérôme Leroy : Pater d’Alain Cavalier.
11) L'anarchisme au cinéma, c'est qui ou quoi ?
Encore un terme qui mériterait d’être mieux défini ! Au cinéma, je considère comme « anarchique » tout ce qui met à mal les conventions, les jougs de toute sorte. C’est l’apologie de l’amour fou contre la bêtise des valeurs bourgeoise de L’âge d’or de Buñuel, les révoltes juvéniles de Zéro de conduite de Vigo, le burlesque destructeur des Marx Bros et l’humour râpeux de WC.Fields, les désopilants détournements situationnistes de René Viénet (La dialectique peut-elle casser des briques ?) , les pornos libertaires de Bouyxou (Amours collectives), les utopies azimutées de L’an 01 de Doillon, la révolte féministe de Bernadette Lafont dans La fiancée du pirate, les bouffeurs de flics de Claude Faraldo (Themroc), les pochades déjantées de Jan Bucquoy (La vie sexuelle des belges), les héros romantiques et authentiquement rebelles de Mocky (Solo, L’albatros) et Gérard Blain (Le rebelle), l’anarchisme individualiste de Georges Darien transposé au cinéma par Louis Malle (Le voleur), les courts-métrages furibards de Roland Lethem (La fée sanguinaire), les cocktails Molotov de Wakamatsu (L’extase des anges), etc.
12) Quelle est la meilleure biographie filmée d'une femme ou d'un homme de pouvoir ?
Peut-être le Talleyrand de Sacha Guitry (Le diable boiteux), parce que c’est plus un portrait du grand artiste que celui d’un homme de pouvoir, grotesque par définition.
13) De quelle femme ou quel homme de pouvoir, aimeriez-vous voir filmer la biographie ?
Aucun homme de pouvoir ne m’intéresse vraiment mais une biographie de Sadi Carnot qui épouserait le point de vue de Caserio pourrait avoir des vertus pédagogiques. Ou alors un porno sur la fin de Félix Faure…
14) Au cinéma, quel personnage de fiction évoque le style des politiciens français suivants : Nicolas Sarkozy, François Hollande, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen ? (vous pouvez en choisir d'autres)
Hollande. On songe à Noiret dans Masques de Chabrol : derrière la bonhommie et les rondeurs débonnaires, une machine de guerre à la solde du culte du « Progrès », du « Bien » et de son idéologie destructrice.
Sarkozy : pas beaucoup d’idées de pantin comparable à l’ancien président. Peut-être Louis de Funès dans Les aventures de Rabbi Jacob : grincheux, excité, franchouillard, beauf, xénophobe, grotesque…
Mélenchon : Peppone dans les Don Camillo (je pique l’idée à Timothée mais depuis que j’ai lu sa réponse, je ne peux plus voir une autre image !)
Le Pen : Greg Stillson dans Dead Zone de Cronenberg : derrière le masque souriant du démagogue, les dangers d’une idéologie totalitaire. Ceci dit, j’ai bien conscience que Martin Sheen ressemble davantage à l’un des laquais de la patronne du FN, à savoir Gilbert Collard !
Puisqu’on peut en ajouter
Nadine Morano : Josiane Balasko dans Gazon maudit (pour le côté poissonnière, ce qui reste d’ailleurs insultant pour les braves femmes pratiquant ce métier)
15) Quel film de propagande n'en est-il pas moins un grand film ?
Entre Leni Riefensthal dont je ne connais pas les films et le trop évident Eisenstein, je choisis le très beau Soy Cuba de Kalatozov.
16) Quel a été pour vous, en France, le meilleur Ministre de la Culture ? Expliquez pourquoi en deux mots.
Philippe Garrel qui a su filmer « les ministères de l’art » !
17) Quel est le meilleur « film de procès »
Autopsie d’un meurtre de Preminger
18) Quel film vous paraît le plus lucide sur le quatrième pouvoir (les medias) ?
Même s’ils sont beaucoup plus que ça, certains essais filmés de Guy Debord comme Réfutation de tous les jugements tant élogieux qu’hostiles, qui ont été portés sur le film « la société du spectacle » et Guy Debord, son art, son temps (coréalisé avec Brigitte Cornand) sont de vitriolesques pamphlets contre les médias et leur permanente falsification du Réel
19) Citez un film que vous aimez et qui vous semble assurément « de droite ».
Qu’est-ce que la « droite » ? Il est bien évident que la droite tendance UMP (vulgarité décomplexée, vénalité, voracité, capitalisme libéral sans contreparties…) ne pourra jamais inspirer que d’horribles films. Mais si on considère comme de « droite » tout individu qui réfute aussi bien l’Etat que la dictature du fric et de l’économie, on peut considérer qu’Eastwood est (parfois) un grand cinéaste de cette « droite » individualiste (quand il joue au « cinéaste de gauche » comme dans L’échange ou Gran Torino, il est mauvais). Et j’offre mon suffrage à son plus beau film : Un monde parfait
20) Citez un film que vous aimez et qui vous semble certainement « de gauche ».
Idem, peut-on considérer que le PS actuel est un parti de « gauche » ? Même lorsque je me sentais d’une sensibilité proche de cette « famille politique », j’ai toujours détesté les « fictions de gauche » bien-pensantes et didactiques à la Boisset, Tavernier, Rosi ou Petri. Je n’aime pas les discours en art puisque l’art devrait être intrinsèquement révolutionnaire (relisez Benjamin Péret). Du coup, lorsque « gauche » signifie une certaine idée de révolte contre les injustices et d’une certaine solidarité, je suis preneur si ces notions sont chevillées à des individus. Je citerais volontiers le meilleur film de Ken Loach (cinéaste souvent trop dogmatique) : Ladybird
Et parce qu’on lui a reproché d’être un cinéaste de « droite », je n’oublierai pas La porte du paradis, grand film de « gauche » de Cimino