Cinéma et politique (3) - Gérard Courant
Je ne ferai pas l'affront de présenter à mes aimables lecteurs le cinéaste Gérard Courant. L'auteur de Cinématon me fait ici l'amitié de me confier ses réponses au désormais fameux questionnaire de Ludovic sur "Cinéma et politique". Qu'il en soit chaleureusement remercié.
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1) Quel film représente le mieux à vos yeux l'idéal démocratique ?
Planet of the Apes (La Planète des singes, 1968) de Franklin J. Schaffner. Je le préfère nettement à son remake, réalisé en 2001, par le grand Tim Burton. Dans ce film, l’ami Tim a été submergé par une certaine grandiloquence de sa mise en scène qui se fond mal avec son sujet.
2) Au cinéma, pour quel Roi avez-vous un faible ?
Le Roi Salomon dans Solomon and Shana (Salomon et la Reine de Saba, 1958), le dernier film de King Vidor. Mais j’ai une nette préférence pour la reine de Saba, interprétée magiquement par Gina Lolobrigida. Peut-être son meilleur rôle.
J’ai aussi un petit faible pour le roi Hérode, interprété par Charles Laughton dans Salomé (1953) de William Dieterle.
3) Quelle est la plus belle émeute, révolte ou révolution jamais filmée ?
Si j’étais politiquement correct, je dirais Octobre de Sergueï Eisenstein mais quand on connaît le résultat de cette révolution et l’horreur qui s’en suivit, je préfère la révolte intérieure du poète Sayat-Nova dans Sayat Nova (1969), fabuleusement filmé par Sergueï Paradjanov.
4) Si vous étiez ministre de la Culture, à quelle personnalité du cinéma remettriez-vous la Légion d'Honneur ?
À titre posthume : Marilyn Monroe.
5) Au cinéma, quel est votre Empereur préféré ?
J’hésite entre Jules César, interprété par Louis Calhern, dans Julius Caesar (Jules César, 1953) de Joseph L. Mankiewicz et Marc Aurèle, interprété par Alec Guinness, dans The Fall of the Roman Empire (La Chute de l’empire romain, 1964) d’Anthony Mann.
6) Si vous étiez Ministre de la Culture, quel serait votre première mesure, premier acte symbolique ou premiers mots d'un discours, concernant le cinéma ?
Pendant des décennies, il n’y avait pas de ministre de la Culture en France et le cinéma français rayonnait dans le monde. Depuis qu’un Ministère de la Culture trône sur le cinéma, le cinéma français n’a pas cessé de dégringoler. Cherchez l’erreur !
Conclusion : pas de Ministre de la Culture (et sa résultante : pas de mesure symbolique).
7) Quel film vous semble, même involontairement, sur le fond ou sur la forme, d'inspiration fasciste ?
Sur le fond (pas sur la forme qui est révolutionnaire) : Ici et ailleurs de Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville.
8) Quel est le meilleur film sur la lutte des classes ?
Il n’y en a pas. S’il en existait un, nous aurions tous étés emportés par une révolution qui aurait réussi. (À ce jour, toutes les révolutions se sont transformées en dictatures).
La question aurait dû être : « quel est le meilleur film sur l’échec de la lutte des classes ? »
Réponse : Modern Times (Les Temps modernes, 1936) de Charlie Chaplin.
9) Au cinéma, qui a le mieux incarné la République ?
L’Arbre, le Maire et la Médiathèque (1993) d’Éric Rohmer.
10) Quel film vous paraît le plus pertinent sur les coulisses du pouvoir dans le monde d'aujourd'hui ?
J’en vois deux. Edipo Re (Oedipe roi, 1967) de Pier Paolo Pasolini et Les yeux ne veulent pas en tout temps se fermer ou peut-être qu’un jour Rome se permettra de choisir à son tour (d’après Othon de Corneille) de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet.
11) L'anarchisme au cinéma, c'est qui ou quoi ?
C’est Harry Langdon, Buster Keaton, Philippe Garrel, Werner Schroeter, Jacques Tati, Luc Moullet...
12) Quelle est la meilleure biographie filmée d'une femme ou d'un homme de pouvoir ?
Young Mister Lincoln (1939) de John Ford.
13) De quelle femme ou quel homme de pouvoir, aimeriez-vous voir filmer la biographie ?
Brigitte Bardot.
14) Au cinéma, quel personnage de fiction évoque le style des politiciens français suivants : Nicolas Sarkozy, François Hollande, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen ? (vous pouvez en choisir d'autres)
J’espère : aucun.
15) Quel film de propagande n'en est-il pas moins un grand film ?
Tous les films d’Eisenstein sont des films de propagande et ils sont (presque) tous des chefs d’oeuvre.
16) Quel a été pour vous, en France, le meilleur Ministre de la Culture ? Expliquez pourquoi en deux mots.
Aucun. L’existence même d’un Ministre de la Culture est la preuve que la culture est devenue une marchandise. À l’époque où le Ministère de la Culture n’existait pas, la culture était au coeur de la vie. Voir La Société du spectacle (1973) ou In girum imus nocte et consumimur igni (1978) de Guy Debord pour s’en convaincre.
17) Quel est le meilleur « film de procès »
Il y a plus amusant et plus drôle que le meilleur « film de procès » : c’est la meilleure « séquence de procès ». Celle de Assassins et voleurs de Sacha Guitry, dans laquelle Darry Cowl est un témoin qui s’est trompé de procès, est un vrai trésor.
18) Quel film vous paraît le plus lucide sur le quatrième pouvoir (les medias) ?
Je pense à deux films : Meet John Doe (L’Homme de la rue, 1941) de Franck Capra et Ace in the Hole (Le Gouffre aux chimères, 1951) de Billy Wilder.
19) Citez un film que vous aimez et qui vous semble assurément « de droite ».
À bout de souffle de Jean-Luc Godard.
20) Citez un film que vous aimez et qui vous semble certainement « de gauche ».
À bout de souffle de Jean-Luc Godard.