Cinématon 0-30 (1977-1978) de Gérard Courant

 Cinematon.jpg

Aujourd’hui, je vais avoir besoin de vos encouragements car je me lance dans un grand défi. Gérard Courant ayant eu l’extrême gentillesse de m’offrir l’intégrale Cinématon (qu’il en soit une fois de plus remercié ici), l’idée d’entamer un « cinéma(ra)t(h)on » m’est venue à l’esprit. Il s’agira donc de vous parler tous les jours de mon avancée dans ce projet démentiel. En sachant que l’œuvre dure près de 160 heures, j’en aurai au moins pour 80 jours (soit deux mois et demi) en tenant une moyenne de deux heures par jour (ce qui me paraît assez impossible si je veux continuer à regarder d’autres films). J’alternerai donc certaines notes uniquement consacrées à ce « film le plus long » et de petits comptes-rendus qui me permettront de ne pas perturber le cours normal de ce blog. Et j’espère avoir terminé d’ici le début de l’été !

 

Comme toutes les grandes inventions, Cinématon repose sur une idée toute simple : revenir aux fondamentaux du cinéma (le gros plan, le muet) et laisser tourner la caméra le temps d’une bobine de pellicule (en l’occurrence, d’une caméra Super 8, à savoir un peu plus de trois minutes). Lorsqu’il créé ce concept en 1978, Gérard Courant n’imaginait sans doute pas qu’il poursuivrait l’expérience plus de 2300 portraits et 33 ans plus tard !

Pour être tout à fait précis, l’expérience n’a pas exactement débuté le 7 février 1978 avec le portrait de la concierge du cinéaste (n°1) mais en 1977 avec un autoportrait qui porte le numéro 0 et que le cinéaste incorpora à son premier long-métrage Urgent ou à quoi bon exécuter des projets puisque le projet est en lui-même une jouissance suffisante (quel titre !). En se filmant lui-même, Courant pensait avoir réussi à ne rien exprimer du tout (lunettes noires, cheveux longs et visage impassible). Or il réalise en découvrant le résultat qu’il se passe quand même quelque chose dans cet autoportrait. L’idée est en marche et va connaître le succès que l’on sait.


Les premiers Cinématons semblent avoir été tournés au même endroit, dans un appartement parisien avec le même mur blanc derrière les visages filmés. Les modèles (étudiants, professeurs, cinéastes expérimentaux) semblent un peu surpris par le concept et discutent beaucoup avec les gens derrière la caméra (Courant n’était pas « opérateur » pour les 9 premiers Cinématons). Le premier qui « tente » un petit scénario, c’est le fidèle Dominique Noguez (n°8) qui quitte soudainement le champ avant de revenir rapidement se replacer devant la caméra. Avec le n°10, Courant filme pour la première fois hors de Paris. C’est amusant d’ailleurs de constater que dans les 4 Cinématons tournés en extérieur à Digne (N°15, 16, 17, 18), tous les « modèles » ont recours à la cigarette pour se donner une contenance.

Malgré quelques ratés (comme ce numéro 30 où Courant a laissé la caméra à une opératrice qui transgresse les règles du Cinématon en zoomant et en bougeant la caméra), ces débuts fonctionnent déjà très bien et donnent des portraits très séduisants.

Au niveau des « personnalités », ça reste encore modeste si l’on excepte Noguez, Jean-Claude Moireau (n°11, qui vient de publier une belle biographie consacrée à Jeanne Moreau) et un autre fidèle, le cinéaste Joseph Morder (n°21). Pas encore de véritables tentatives de « scénarisation » du portrait mais déjà quelques partis pris qui seront renouvelés par la suite : les grimaces, les accessoires (cigarettes, lunettes…), les premières « provocations » (Gabriel Chahine, n°20, montre ses fesses) et les innombrables  poses qui se révèlent parfois très belles (d’autant plus que le grain imparfait du Super 8 – certains portraits sont sous-exposés ou, au contraire, surexposés- donne des résultats vraiment très beaux).

Un de mes préférés de cette première série est peut-être celui de Martine Elzingre (n°12). Celle qui est présentée comme une « sociologue » déploie un véritable talent de séductrice. Visage penché, yeux de biche et savant jeu de bouche, cette belle jeune femme magnétise littéralement la caméra de Gérard Courant (ce n’est sans doute pas un hasard s’il la choisira par la suite pour tenir le rôle principal – et unique- d’Aditya !) et elle est assez fascinante. Mais là où le dispositif est redoutable, c’est qu’il est long et qu’il faut tenir sur la durée. Or il se trouve que comme tous les « cinématonés », le masque enjôleur de Martine Elzingre se craquelle parfois et qu’elle offre à l’objectif de la caméra de beaux moments de vérité.

Impossible d’échapper au « piège » de Cinématon !

 

PS : Ce qui me ferait extrêmement plaisir à l’occasion de cette intégrale, c’est de recueillir des témoignages de « Cinématonés » à mesure que je les découvre. Je me doute que Jean-Luc Godard ou Sandrine Bonnaire ne passeront jamais sur ce blog mais j’aimerais beaucoup savoir dans quelles circonstances ont eu lieu chaque film, comment s’est déroulé le tournage, quelles furent les impressions des « cobayes » et ce qu’ils sont devenus. Pour prendre un exemple précis dans cette première série, qu’est devenue Agnès Laparre (n°23), cette belle étudiante que la caméra de Courant immortalisa un bel après-midi de juillet 1978 au Luxembourg ?

Retour à l'accueil