Cinéma(ra)t(h)on : J-13
Cinématon 301-331 (1983-1984) de Gérard Courant
Dominique Noguez Cinématon n°319
Il faut se méfier des généralisations hâtives ! Ainsi prétendis-je que les artistes plasticiens étaient toujours les plus aptes à scénariser leurs Cinématons et à nous proposer des portraits originaux et facétieux. Or il se trouve que nous croisâmes un certain nombre desdits plasticiens au cours de cette 13ème étape et qu’aucun n’est parvenu à attirer notre attention.
A la rigueur, citons pour mémoire le très minimaliste numéro de Romain Atala (n°305) qui se contente d’imprimer un très léger mouvement panoramique à ses yeux. Il commence par porter son regard à gauche du cadre (pour le spectateur) pour finir au bout de trois minutes par regarder à droite tandis que sa tête n’a pas bougé. On prend véritablement conscience de cet imperceptible mouvement lorsqu’on réalise soudain qu’il est en train de nous fixer !
Ce sont les « habitués » qui ont attiré notre attention encore une fois. Un an après, nous retrouvons la bonne bouille de Galaxie Barbouth (n°306) qui a bien grandi. Le portrait paraît un poil moins naturel que l’originel car on sent qu’il y a du monde derrière la caméra qui tente d’influer sur les gestes et mimiques du bébé. Néanmoins, le sourire de la petite est toujours aussi irrésistible et on est content de la retrouver.
A la borne 323, c’est Joseph Morder qui s’y colle une nouvelle fois. Il s’agit du Cinématon où il semble pris de convulsions et où son jeu me semble assez proche des burlesques primitifs. Le résultat est fort drôle.
Mais le plus réussi de tous est sans aucun doute la troisième apparition de l’excellent Dominique Noguez (n°319). Il s’agit du portrait où l’écrivain inscrit sur son visage la phrase « Quelle raison avez-vous de me regarder ? » avant de se retourner et de laisser apparaître l’écriteau : « aucune ». Que ça soit par le timing parfait de la « performance », son incongruité (un grand écrivain qui se barbouille le visage), son humour et la manière dont il interroge le dispositif ; ce Cinématon est un petit chef-d’œuvre.
Deux autres écrivains font leur apparition dans le film au cours de cette étape : Marcellin Pleynet (n°317), qui reste de marbre face à la caméra de Courant ; et Philippe Sollers (n°314) qui entame d’abord une sorte de remake du portrait de Frédéric Mitterrand (même immobilité, même position du corps…) avant de « craquer » et de prendre une cigarette. Alors que je trouvais le portrait de Mitterrand très juste, celui de Sollers et son petit sourire malin m’a semblé assez « faux » et affecté. Est-ce parce qu’on connaît le personnage que cette idée vient à l’esprit ou Cinématon est-il un véritable révélateur ?
Parallèlement aux écrivains, Gérard Courant continue de chasser les têtes des critiques des Cahiers du cinéma. On rencontrera cette fois-ci Charles Tesson (n°301) le temps d’un film sans grand relief et Jean Narboni (n°320) qui gagne le privilège d’être le deuxième « Cinématon inconnu » puisque le spectateur le voit de dos une grande partie du film (il est en train de se faire couper les cheveux à domicile – sans doute par Dominique Villain n°315-).
Courant n’oubliera pas de compléter le tableau de famille en filmant l’écolière Louise Narboni (n°316) le temps d’un film d’une grande fraîcheur.
Pour finir, citons en vrac les portrait de Frédéric Pardo (n°318) qui fait semblant de dormir et a bien failli être contagieux (il faut cependant absolument voir son très beau Home movie avec la sublime Tina Aumont) ; celui de Nicolas Villodre (n°325) qui s’enferme pendant près de trois minutes dans des toilettes publiques (le face à face avec la porte est un peu long !), ou encore de Daniel Viguier (n°329) qui ne sort pas du cadre mais s’enfonce dans la profondeur de champ après s’être collé le visage contre la caméra. Il n’est pas courant (si j’ose dire !) que nous puissions voir un modèle « en pied » dans un Cinématon.
Enfin, l’étape s’est terminée par le portrait émouvant et tout simple d’Henri Alekan (n°330) qui s’affaire sur son livre et jette quelques mots sur des feuilles aux spectateurs pour lui dire la difficulté de son travail. Un grand bonhomme !