Cinématon 431-450 (1984) de Gérard Courant

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Juliet Berto Cinématon n°441

 

Encore beaucoup de beau monde pour cette fin d’année 1984. Certains se contentent de peu et ratent leur cible, à l’image d’Olivier Assayas (n°435) qui pose de profil et ne fait rien mais dont la présence ne suffit pas à attirer l’attention. Son portrait est un peu fade. En revanche, d’autres jouent sur la création d’un véritable univers qui leur correspond. En ce sens, j’aime beaucoup le Cinématon d’Arrabal (n°442) qui fait bouger une toile derrière lui et qui observe de petites horloges avec quatre ou cinq paires de lunettes sur le nez. Le résultat, baroque à souhait, est assez représentatif de l’univers de l’auteur de Viva la muerte.

Celui-ci appréciait d’ailleurs beaucoup l’œuvre de Gérard Courant qu’il défendit très intelligemment lors d’une émission sur M6 où beaucoup se montraient ironiques (Bouteiller en tête). Arrabal dit « Ses Cinématons sont des documents uniques et extraordinaires. Un jour, Pasolini m’a dit : « C’est un peu bête que toi et moi on fasse du cinéma car le cinéma va s’autodétruire ». Et bien, quand le cinéma aura disparu, il restera les Cinématons. »

Entre ces deux extrêmes (le moins et le plus), toute une gamme de déclinaisons possibles. La sublime Juliet Berto (n°441) n’en fait pas des tonnes mais son portrait s’avère d’autant plus envoûtant qu’en plus de sa gestuelle et de la lumière que dégage son visage, elle a placé une glace teintée de gris entre elle et la caméra permettant de voir le reflet du cinéaste sur son visage. Le résultat est un film qui vire quasiment à l’onirisme, à l’image du dernier long-métrage que la comédienne tournera (Havre).

Michel Chion (n°436), critique du cinéma et spécialiste du son, se révolte contre le dispositif muet de Cinématon et présente au spectateur un ensemble de cartons pour dire qu’il est contre ce film prétendument sans son alors que « le cinéma a toujours été parlant » (il est vrai que les acteurs du muet parlaient à l’image. Devrions-nous revoir l’expression et parler de « cinéma sourd » plutôt que de « cinéma muet » ?)

Cette étape fut également marquée par des promiscuités un peu surprenantes. Difficile, en effet, de passer du frais minois de Galaxie Barbouth (n°447), qui revient pour la troisième fois et joue avec des fleurs qui la font éternuer, au sexe du comédien Marc Monjou (n°448) qui joue à fond la carte de la provocation. Le gros plan du Cinématon ne sert pas ici à cadrer son visage (que nous ne verrons pas) mais un « service trois-pièces » que, personnellement, j’ai du mal à trouver très esthétique (même si une photo de Jean-Paul II, paix à son âme, vient parfois le dissimuler). Est-ce qu’un sexe peut être plus expressif qu’un visage ? A vrai dire, il faudrait pouvoir voir une version féminine de ce Cinématon pour pouvoir se prononcer mais je ne crois pas qu’elle existe. Croyez bien que je le regrette !

Dans la lignée d’un Marc Monjou, nous vîmes un certain nombre de performances même si elles furent beaucoup plus « soft ». Alain Fleisher (n°434), quand il n’était pas encore sénile et ne cherchait pas systématiquement des poux dans la tête de Godard, se fait filmer dans le noir complet et ne laisse apparaître son visage que le temps de flashs lumineux très violents. Le résultat est très beau.

Mais ce furent les plasticiens qui se montrèrent les plus originaux et qui jouèrent à masquer leurs visages pour se dévoiler. Cécile Babiole (n°443) s’enlaidit délibérément avec des morceaux de scotch qui lui déforment totalement le visage. Gérôme (n°444) se peint la figure en vert et trace de grandes traînées marron et noires qui le font ressembler à un indien d’Amérique. Jean-Claude Roux (n°445), quand à lui, s’emmaillote la tête avec une bande puis la couvre avec une espèce de sac en toile qu’il macule de peinture noire.

Pour ces artistes, il s’agit non pas de dévoiler leur Moi profond mais, au contraire, de le dissimuler, le déformer, le masquer, le maculer.

Mais, au fond, ce geste ne les révèle t-ils pas autant ? 

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