Cinématon 451-480 (1984-1985) de Gérard Courant

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Jacques Monory Cinématon n°458

 

L’étape du jour fut marquée essentiellement par les plasticiens et les cartons.

Beaucoup d’artistes défilèrent devant la caméra de Gérard Courant en ce début d’année 1985 (notamment lors d’un séjour niçois). Tous ne sont pas parvenus à rendre leur portrait mémorable malgré la notoriété de certains (avouons que celui d’un Bertrand Lavier -n°466- qui se contente de fumer son cigare nous a laissé plutôt froid alors que certains de ses monochromes ornent les murs de notre bonne vieille bibliothèque universitaire dijonnaise).

En revanche, j’aime beaucoup celui de Jacques Monory (n°458) qui parvient à utiliser les caractéristiques de son visage comme un véritable élément plastique. Filmé sur un fond entièrement blanc, il se vêt d’un t-shirt blanc et donne la sensation de se fondre totalement dans sa propre « toile ». L’air affolé qu’il affiche lorsqu’il réalise que son premier « numéro » (mettre un t-shirt, une veste, des lunettes et un chapeau) n’a entamé qu’un tout petit peu de son temps de présence à l’écran est également assez savoureux.

Le lucratif Ben Vautier (n°476) s’en tire aussi très bien. Il masque son visage avec une feuille où se trouve inscrit de sa fameuse écriture un : « Quoi de neuf ? ». Peu à peu, il fait descendre cette feuille et révèle son visage au public qui connaîtra la réponse à cette question à la toute fin du film : un « rien » écrit sur le menton de l’artiste.

 

Cette feuille nous offre une excellente transition vers les personnalités qui eurent recours aux cartons durant cette étape.

Certaines n’en firent rien du tout, à l’image de la chanteuse Sapho (n°461) qui dessine et écrit sur des feuilles sans que le spectateur puisse voir le résultat quand elle les présente à la caméra (trop loin, trop de lumière…).

D’autres utilisent le carton pour rendre des hommages. Ainsi, le journaliste Daniel Dray (n°459) se contente de montrer à la caméra des citations de Godard ; l’esprit du maître continuant décidément à planer sur le film.

Enfin, il y a ceux qui parviennent à utiliser les cartons comme un moyen de scénariser leurs portraits. Celui de Georges Londeix (n°473) est vraiment très touchant dans la mesure où l’écrivain tente de « raconter » sa vie en inscrivant dates et évènements sur des cartons. Pour le coup, le format s’avère trop court et on l’aurait bien lu (et vu) pendant plus longtemps.

Dans le même ordre d’idée, le cinéaste Boris Lehman (n°468) ne montrera pas son visage pour son deuxième Cinématon : il se cache derrière ses feuilles qui, toutes, interrogent le dispositif de Courant et l’idée même de « vérité » au cinéma. Le résultat est également très réussi (et assez piquant dans la mesure où Lehman est le prototype du cinéaste à la « première personne » !).

Françoise-Caroline Jacob, n°472 et troisième « cinématon inconnu », utilise également un « carton » à la fin d’un petit numéro très amusant. Elle apparaît d’abord totalement masquée par des bandelettes qui la font ressembler à la « femme invisible ». Peu à peu, elle ôte ces bandes et laisse apparaître un charmant visage hilare. On la voit alors écrire et présenter au public la phrase suivante : « La semaine prochaine, j’enlève le bas ». De l’humour et du charme : nous voilà conquis !

Si les autres portraits ne nous ont pas semblé inoubliables, notons néanmoins que le cinéaste accueille de nouvelles professions au sein de son œuvre : un sculpteur (Bernard Pagès, n°475) et un philosophe en la personne de Jean-François Lyotard (n°469) qui ne se départira pas de son sérieux pendant tout le film. Au point qu’on se demande si Courant n’est véritablement resté chez lui que trois minutes et l’a ensuite laissé à sa tâche ou si le penseur s’est remis à sa table de travail le temps du film avant d’aller prendre l’apéro avec le cinéaste…

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