Cinéma(ra)t(h)on : J-2
Cinématon 31-60 (1978-1979) de Gérard Courant
Marie-Noëlle Kauffmann Cinématon n°56
Je profite des vacances de mon rédacteur en chef et d’une programmation télévisuelle assez médiocre pour me plonger avec délice dans cet immense fleuve qu’est Cinématon.
« Qu’est-ce qu’un visage ? » pourrait être la question que pose le cinéaste avant chaque portrait. Est-il réductible à ces trois minutes muettes qu’il fixe pour l’éternité ? Toutes ses facettes constituent-elles un véritable « tout », comme tente de le montrer Gina Lola Benzina (n°53) (Courant en fera la vedette de son Cœur bleu) qui pose d’abord de dos, puis de profil (le droit puis le gauche) et enfin de face ? Probablement pas et c’est ce mystère contenu derrière chaque visage qui fait aussi le prix du film.
Cinématon est aussi un bon moyen de découvrir des visages qui restent généralement dans l’ombre. Je pense notamment à ceux des critiques de cinéma. Ce fut amusant de voir à quoi ressemblait Raphaël Bassan (n°41), l’un des rares critiques qui eut une véritable importance pour moi lorsque je découvris ses textes (Bassan écrivait toujours dans la regrettée Revue du cinéma au début des années 90). Il apparaît au départ un peu comme on pouvait l’imaginer, ressemblant à un austère professeur d’histoire-géo : barbe, lunettes cul de bouteille et tenue vestimentaire sobre. Après un laps de temps où il joue avec un mouchoir, le voilà qui sort de sa sacoche un numéro de… Ciné-revue avec une jolie playmate en couverture. Le contraste est assez piquant. De la même manière, il est assez amusant de découvrir le critique de L’Humanité Jean Roy (n°38) en train de lire déguisé en cow-boy (chapeau ad hoc, lunettes de soleil, gros cigare et veste de garçon vacher).
Cette nouvelle salve de Cinématons permet également de découvrir les visages de cinéastes pas forcément « célèbres » mais reconnus dans les milieux cinéphiles : le pape du cinéma expérimental Michael Snow (n°44, impassible), Marcel Hanoun (n°60, un peu décontenancé), Boris Lehman -le Joseph Morder belge- (n°34), séducteur, Lionel Soukaz (n°47), qui joue avec de multiples accessoires (casque, perruques, lunettes…), Erwin Huppert (n°54) qui convoque une belle figurante pour faire de son Cinématon un nouvel épisode du Kiss d’Andy Warhol et inaugurer ainsi le premier portrait « érotique » de la série ou encore FJ.Ossang (n°52), pas encore réalisateur à l’époque, qui s’empare de la caméra et la fait virevolter dans tous les sens.
Ossang, de manière « punk », détruit le cadre du dispositif. C’est également cette destruction de ce cadre étouffant que tente Antonietta Pizzorno (madame Moullet à la ville) dans un portrait très amusant et intelligemment « scénarisé » (n°49). La coréalisatrice d’Anatomie d’un rapport double le cadre de Gérard Courant avec un morceau de polystyrène (?) et le détruit à coups de dents rageurs. Puis elle cherche à élargir avec ses mains le cadre fixé par le cinéaste (en vain) avant de prendre la fuite. Jolie manière de montrer qu’on n’échappe pas au dispositif du Cinématon !
A l’opposé de cette tentative de « fiction », il y a les portraits des modèles qui ne font « rien ». Les plus réussis sont ceux qui résultent des fruits d’une belle lumière, d’un visage qui magnétise l’objectif de la caméra et du hasard qui parfois s’en mêle. A ce titre, le plus beau Cinématon de ce lot est assurément celui de Marie-Noëlle Kauffmann (n°56), l’actrice que Courant fera tourner dans Je meurs de soif, j’étouffe, je ne puis crier… Déjà dans le Cinématon précédent (celui de Dominique Arich, n°55), tourné au même moment au même endroit, une lumière à la Georges de la Tour conférait au portrait une grande beauté.
Avec Marie-Noëlle Kauffmann, le hasard s’en mêle et donne un résultat qui confine au sublime puisque la belle se fait griffer par son chat juste en dessous de l’œil. Lorsqu’elle passe sa main sur son visage, elle laisse apparaître une petite traînée de sang qui avive l’incroyable clarté de son regard humide. Au cœur d’un dispositif pourtant très strict, le hasard s’est invité pour faire d’un visage une véritable œuvre d’art.
Et c’est ainsi que Cinématon est grand.