Cinématon n°511-540 (1985) de Gérard Courant

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Béatrice Romand Cinématon n°527

 

Lorsqu’il était invité dans des émissions télévisées à la fin des années 80, Gérard Courant citait presque systématiquement Yves Mourousi (n°521) comme exemple de personnalités filmées dans Cinématon. Or je ne suis pas certain que ce nom soit aujourd’hui le plus parlant pour « vendre » l’oeuvre et, symptomatiquement, son portrait n’a même pas été sélectionné dans le coffret DVD 120 Cinématons édité par Malavida. L’ironie du sort est une fois de plus cruelle et la télévision prouve qu’elle ne fabrique, à l’inverse de l’Art, que de l’Oubli : il est fort probable que dans 50 ans, on ne se souviendra du visage de Mourousi que parce que Courant l’aura immortalisé pendant 3 minutes 20 !

Pourtant, son film est plutôt réussi puisqu’on y voit le journaliste se battre avec les fils emmêlés de son « walkman » puis lézarder au soleil en toute quiétude. Bien entendu, il allume une cigarette (une immonde Gauloise sans filtre) mais l’impression dominante est celle d’une certaine paix intérieure…

 

Il me semble aisé de diviser le parcours d’hier soir en trois moments d’une égale longueur. La première dizaine de portraits fut, avouons-le, assez ennuyeuse et nous ne retiendrons pour la forme que le beau regard sombre de la cinéaste et comédienne Catherine Corsini (n°519).

Mais le coureur de fond sait pertinemment que des baisses de régime (pas forcément dues au film, d’ailleurs) sont possibles et qu’il ne faut jamais se décourager. Le miracle advient effectivement lors de la deuxième dizaine de portraits visionnés puisqu’ils s’avèrent (presque) tous passionnants. Outre Yves Mourousi déjà cité, nous croisons le quatrième « cinématon inconnu » en la personne de Benoît Lamy (n°523) (facétieux cinéaste belge) qui se fera intégralement filmer de dos, laissant aux spectateurs le loisir de voir dans la profondeur de champ les regards étonnés des badauds assistant à ce tournage à une terrasse de café. Le suspense est terrible (finira-t-il par se retourner ?) et la fin presque frustrante. Je ne vous en dis pas plus !

Arrive ensuite une belle brochette « people » puisque nous avons le plaisir de voir une Evelyne Bouyx (n°525) souriante et très digne, un André Téchiné (n°526) anxieux mais néanmoins amusé par le dispositif et enfin l’adorable Béatrice Romand (n°527) qui se fait filmer allongée dans l’herbe et offre un visage aussi frais que celui qu’on lui connaît dans les films de Rohmer.

Moins connu des cinéphiles, le cinéaste belge (décidément !) Jean-Jacques Andrien (n°528) obtient la palme (n’oublions pas que nous sommes toujours à Cannes) du Cinématon le plus astucieux en prenant deux polaroïds (il se photographie lui-même, puis Courant en train de filmer) qu’il scotche, avant de sortir définitivement du champ, sur une cabine téléphonique, laissant les deux images apparaîtrent lentement. Une fois de plus, le dispositif de l’œuvre (« pas une image juste, juste une image ») est mis en abyme de manière très habile.

De plus, comme ces polaroïds sont fixés à une vitre, le petit scénario permet au hasard de s’en mêler et offre au spectateur le loisir de contempler un quidam (uniquement pour sa coupe « mulet », le film mérite d’être vu !) qui entre dans la cabine et fait semblant de téléphoner (sans doute par simple désir d’être filmé)…

Lorsque la série des portraits cannois s’achève et que commence une nouvelle dizaine de Cinématons, la tension baisse à nouveau et le film reprend un rythme moins excitant. Je pense que je suis la seule personne au monde a avoir souri en voyant l’auguste critique belge Marcel Croës (n°533) se faire tirer le portrait ; uniquement parce que j’ai repensé aux moqueries dont il fut l’objet dans les chroniques cinématographiques de Noël Godin.

Un cinéaste allemand dont nous n’avions jamais entendu parler (Michaël Brinntrup, n°535) brise aussi la routine des portraits « statiques » en s’affublant de toutes sortes de perruques et de masques et en faisant mentir l’adage qui veut que les portraits teutons soient souvent les plus austères et les plus soporifiques.

Enfin, l’étape du jour nous aura également permis de croiser le plus jeune « cinématoné » puisque Basile Vaugeois (n°537) avait alors tout juste deux mois. Malgré des mains adultes qui tentent de le réveiller (sans doute pour montrer ses yeux à la postérité), le bébé dort du sommeil du juste avant, in extremis, de consentir à ouvrir ses paupières pour le plus grand bonheur, on le suppose, des heureux parents…

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