Cinéma(ra)t(h)on : J-3
Cinématon 61 – 100 (1979 – 1980) de Gérard Courant
Jean Douchet Cinématon n°66
Qu’est-ce qu’un Cinématon « raté » ?
Peut-être celui qui ne respecte pas les règles méphistophéliques édictées tacitement par le cinéaste : je t’offre l’éternité mais, en échange, je te prends ton âme. Joseph Losey (n°76) s’est laissé filmer par la caméra de Courant mais il n’était pas véritablement là, répondant au même moment à une interview. Le résultat est donc un peu frustrant et le spectateur a le sentiment de regarder à la dérobée le visage de l’auteur de The servant et Monsieur Klein (qui est sans doute la première personnalité de stature internationale à faire son entrée dans le film) sans que celui-ci se livre vraiment.
Cet exemple précis illustre assez bien ce que pourrait être un ratage « objectif » du dispositif. Mais il y a également les « ratages subjectifs » et le cinéaste écrit lui-même[1] à propos de la comédienne allemande Catharina Zwerenz (n°94) : « Cinématon indolore, inconsistant, propre, sans odeurs : seulement une blancheur interminable, un regard abstrait et, toujours, une cigarette. ». Pour ma part, je suis moins sévère et même s’il ne me fait pas me pâmer, je trouve ce portrait assez séduisant. Là réside également le mystère de l’œuvre : qu’est-ce qui fait qu’un visage « accroche » ou pas l’œil du spectateur ? Quelle émotion reconnaît-il chez le « modèle » qui, soudain, va lui permettre une sorte d’identification ?
Inversement, pourquoi certains portraits laissent indifférents, ne nous touchent pas ?
A ce titre, la moisson de Cinématons récoltés pendant le festival de Locarno (en août 1980) ne m’a pas paru mirobolante, même si l’on croise le chemin de quelques personnalités attachantes (le cinéaste brésilien Carlos Diegues n°81, par exemple). Aucun des visages entrevus n’a véritablement attiré mon attention. Est-ce parce qu’aucun (ou presque) ne daigne décrocher un sourire, que ça soit le futur directeur du Monde diplomatique (Ignacio Ramonet, n°87) ou le cinéaste allemand aujourd’hui bien oublié Robert van Ackeren[2] (n°88) ?
Une seule exception : le critique suisse (dont j’ignore tout) Alex Erik Pfingsttag (n°92) qui se livre, souriant, à un amusant petit numéro. Il commence par un petit « strip-tease » sur fond mauve (il enlève sa veste, sa cravate et sa chemise) avant de croquer une pêche puis de se vêtir d’une sorte de tunique, d’un turban et d’entamer un morceau de flûte comme un charmeur de serpent. Mais est-il possible, tel le héros du conte d’Hamelin, d’envoûter l’impassible « cinématoneur » Courant?
L’adhésion à un Cinématon peut, bien évidemment, dépendre de la « photogénie » du modèle (Wendy Dozonetz, n°64) mais pas seulement. On ne peut pas dire, pour prendre un exemple précis, que les deux pointures de la critique cinématographique croisées au cours de cette étape soient de véritables Apollon. Ils ne cherchent pas non plus à attirer l’attention par leurs gestes puisque Jean Douchet (n°66) se fait filmer au lit et dort la plupart du temps (encore un hommage à Warhol ?) tandis que Serge Daney (n°67), qui a un faux air de Jean-Pierre Darroussin, se contente de tirer sur son clope. Et pourtant, force est de constater que ces deux personnages ont une présence, une aura qui fait qu’on reste scotché devant son écran.
L’étape de ce jour m’a également permis de découvrir le « Cinématon inconnu » (le n°71) puisque qu’en lieu et place des trois cartons introductifs réglementaires, le film débute par un simple point d’interrogation tandis qu’apparaît à l’écran un homme affublé d’un masque de clown. Peu à peu, il enlève tous ses masques (on réalise qu’il y a plusieurs couches) et l’on reconnaît le facétieux Dominique Noguez qui s’invite une nouvelle fois dans le film (et ça n’est pas la dernière !). Il n’est d’ailleurs pas le seul à revenir puisqu’on croise à nouveau la route de Joseph Morder (n°74), qui livre ici son portrait le plus « sobre », et deux comédiennes déjà filmées par Courant : Tessa Volkine (n°63) et Lucie Pierre (n°73). Les deux semblent avoir compris le pouvoir de Cinématon et jouent désormais à fond la carte de la séduction (le portrait de Tessa Volkine est particulièrement glamour alors qu’elle semblait s’ennuyer lors du premier).
Ma course s’est achevée avec le symbolique numéro 100 où l’on retrouve un tout jeune Dominique Païni qui ressemble alors d’avantage à un loulou de banlieue (cheveux longs, blouson de cuir noir et moustache hippie) qu’à un futur directeur de Cinémathèque française.
Gérard Courant légende ce portrait de la manière suivante : « Quand Dominique Païni croyait encore au cinéma ».
No comment…
NB : J’oublie un Cinématon assez intéressant quant au dispositif qu’il met en scène. Il s’agit de celui de Vincent Tolédano (n°97), alors critique et cinéaste, qui se fait projeter sur le visage son propre film Apocalypse nouilles avec Françoise Michaud. Le résultat est assez amusant.
NB 2 : Puisqu’il est question de Jean Douchet, signalons que la Cinémathèque de Bourgogne met en ligne toute l’année des Cinématons (un par semaine, dont celui de votre serviteur). C’est à voir ici, afin de se familiariser avec l’oeuvre.
A la date du 1er Mars, vous trouverez d’ailleurs sur le même site un magnifique texte de Vincent Nordon sur Gérard Courant.