Cinématon 790-810 (1986) de Gérard Courant

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Mariola San Martin Cinématon n°796

 

Dans L’artifice et le factice, l’un des nombreux « carnets filmés » de Courant, on peut découvrir plusieurs fois la sympathique Brigitte Simonetta (qui se souvient de Brigitte Simonetta ?) qui évoque à la télévision Cinématon. La présentatrice croit pouvoir détecter dans les portraits du cinéaste une différence fondamentale entre des hommes qui ne pourraient s’empêcher de « jouer » et des femmes qui resteraient plus volontiers  naturelles  (comprenez le sous-entendu : les hommes sont faux, truqueurs et se dissimulent tandis que les femmes sont elles-mêmes et ne trichent pas !).

Or même si la speakerine ne pouvait pas savoir qu’il n’est pas rare que des femmes « scénarisent » aussi leurs Cinématons (Cécile Babiole, Chantal Junius, Florence Jaugey…), il faut également remarquer que les portraits où elles ne « font rien » sont peut-être beaucoup moins « naturels » que ceux des hommes de la même espèce.

L’heure est venue d’évoquer un syndrome remarqué depuis longtemps (mais la route est longue et il faut bien que je garde en réserve quelques cartouches théoriques !) : le syndrome de la « tête penchée ». De la belle Martine Elzingre (n°12) jusqu’à Mariola San Martin (n°796), il est fréquent  de voir les femmes poser systématiquement dans cette position anti-naturelle au possible. Je ne ferai pas l’offense à mon lecteur de transformer ces pages en une rubrique « développement personnel » ou de me lancer dans une longue dissertation sur le langage de la séduction mais il me semble que ce signe ne trompe pas : derrière la façade du portrait « neutre » se dessine en filigrane une véritable entreprise de séduire, d’hypnotiser.

Séduction de la caméra ou du cinéaste ? C’est parfois difficile à déterminer et c’est ce qui rend le portrait de Mariola San Martin si troublant car le spectateur sent que quelque chose d’intime est en train de s’immiscer dans le dispositif et que sa volonté de séduire s’adresse aussi bien à la caméra qu’au réalisateur (de cette parenthèse amoureuse, Courant tirera l’un de ses plus beaux films : Amours décolorées). Lui-même ne s’y trompera pas :

 

« Je ne me rappelle plus de rien. Ce dont je suis sûr c’est que je l’ai filmée et qu’ensuite elle est restée avec moi. »

 

Vous allez trouver que c’est un peu paradoxal de consacrer autant de place au portrait de la belle Mariola alors que l’étape du jour ressemble au plus étonnant des « Who’s Who ». Jugez plutôt.

Côté cinéastes, on commence par prendre place tranquillement sur une chaise longue aux côtés d’un Marco Bellocchio léonin (n°794) avant de croiser Claude Berri (n°798) qui reste imperturbable. C’est ensuite au tour de Roberto Benigni (n°801) de prendre le train en marche. Le réalisateur du Petit diable et de La vie est belle reste égal à lui-même : une vraie pile électrique qui ne peut s’empêcher de parler (Cinématon est muet ? Aucune importance puisque tout passe par les mains !). Ses mines sont hilarantes et après Gilliam qui mâchait un billet de banque, il ne tient tellement pas en place qu’il se croit obliger de déchirer un billet de 100 francs devant la caméra. Son geste fera moins scandale que celui de Gainsbourg !

J’ai déjà évoqué l’étonnant portrait de Nagisa Oshima (n°806). Sa beauté vient du contraste entre l’impassibilité du grand cinéaste (qui évoque celle de son compatriote Yoshida) et le mouvement que l’on voit dans la profondeur de champ (badauds qui déambulent sur la plage en maillot de bain). Courant parvient véritablement à extraire l’auteur de L’empire des sens du mouvement du monde et de le figer dans l’éternité.

 

Côté comédien(ne)s, la moisson fut également très riche. C’est la pétillante Catherine Frot (n°793) qui ouvre le bal et nous gratifie de jolies œillades. Puis c’est au tour de la splendide Maruschka Detmers (n°795) de poser pour Gérard Courant. Elle affiche d’abord une mine sérieuse et un regard noir avant que son visage ne s’éclaire avec un grand sourire. Etant donné qu’elle passe juste après Marco Bellocchio, elle fait également naître dans l’esprit du spectateur de bien malhonnêtes pensées lorsqu’elle se met à mordiller le bout de ses lunettes. Mais nous n’entrerons pas dans les détails : ceux qui ont vu Le diable au corps me comprendront !

Enfin, c’est à la ravissante Nicoletta Braschi qu’échoue le numéro 800 du film. La compagne et fidèle comédienne de Benigni pose avec un chapeau sur la tête qu’elle a le bon goût d’ôter de temps en temps pour nous laisser apprécier son joli regard.

 

Et même du côté des critiques, c’est la grande parade puisque l’on croise pour la deuxième fois Noël Simsolo (n°799).  A ce stade de la note, il convient d’ajouter à l’instar de la jeune fille que fréquente le narrateur de L’homme qui arrêta d’écrire de Nabe un « non, je rigole » de circonstance…  

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