Cinématon 1051-1080 (1988) de Gérard Courant

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Patrice Bauchy Cinématon 1056

 

Cher journal,

 

Depuis que mon guide ne m’est plus utile (il balisait le terrain jusqu’à la borne 1000), mon expédition s’avère plus difficile et périlleuse. Je m’enfonce peu à peu dans une forêt épaisse et les quelques contacts radio que j’étais parvenu à maintenir semble s’être tus. Les repères se font plus rares et je me sens un peu désorienté : les visages se succèdent et se mêlent dans mon esprit, sans laisser véritablement de traces.

Gérard Courant pousse le vice jusqu’à nous entraîner à Copenhague où il filme des artistes et écrivains islandais aux noms plus longs qu’un jour sans pain (Ragna Sigurdardottir –n°1061- ou Kristin Omarsdottir –n°1062-). Puis c’est à San Sebastian qu’il nous traîne mais qui sont ces producteurs turcs (Adburrahman Keskiner n°1079), ces cinéastes colombiens (Francisco Norden, n°1074) ou argentins (Luis Figueroa, n°1070, avec son impressionnante barbe) ?

 

Ne connaissant pas ces gens, je cherche à me raccrocher à d’autres éléments que leur visage. La conservatrice de cinémathèque cubaine Teresa Toledo (n°1075) pose devant une mer d’un beau bleu égyptien contrastant avec le rouge de son pull et nous fait songer aux films de Godard des années 60.

D’autres portraits furent tournés dans des endroits publics, offrant à mon regard l’agitation de la rue. Est-ce la folie qui me gagne à ce stade du voyage mais j’ai espéré qu’un évènement imprévu allait surgir dans un recoin du cadre, dans la profondeur de champ comme dans Blow up. Même si ça n’est pas très glorieux, j’ai souhaité qu’un voleur à la tire face irruption dans le cadre et force une voiture ou qu’un gamin à vélo fasse une chute. Le hasard nous aurait permis de nous rattacher à un Réel qui s’effiloche devant la succession de ces visages inconnus.

 

A ce stade de mon voyage, je reste quand même émerveillé lorsque je découvre quelqu’un capable de trouver une astuce pour faire de son portrait quelque chose d’un peu original. Le programmateur de film Patrice Bauchy (n°1056) parvient en se mettant du persil dans les oreilles (et non dans les narines, ô cher Georgius !) et une tomate dans la bouche à se transformer en véritable « tête de veau ».

 

Le temps d’un instant, il m’a semblé pouvoir m’appuyer sur des noms me disant quelque chose. A la latitude 1068, j’ai croisé le cinéaste allemand Harun Farocki, auteur d’un intéressant document sur les Straub en pleine répétition au moment d’Amerika.  Mais trop occupé à ses exercices physiques (il se fait filmer la tête à l’envers en faisant le poirier puis effectue des pompes), il ne s’est pas préoccupé de moi.

De la même manière, je pensais entamer un petit dialogue avec le cinéaste brésilien Nelson Pereira Dos Santos (n°1071) avant de réaliser que je n’avais vu aucun de ses films. J’ai donc passé mon chemin.

Maintenant, la nuit tombe et le froid commence à se faire sentir. Je suis trop loin pour songer à faire demi-tour.

Inutile de crier non plus, je suis si seul…

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