Cinéma(ra)t(h)on : J-6
Cinématon 151-180 (1981-1982) de Gérard Courant
Marie Rivière Cinématon n°172
Pas de véritables célébrités à l’occasion de ce sixième jour de course mais une série un peu ennuyeuse de portraits austères tournés à Berlin pendant le festival du film et un retour aux Cinématons en noir et blanc le temps d’une jolie série new-yorkaise où l’on peut croiser un désigner québécois (Alfonso Sabelli n°178) en train de montrer une série de polaroïds avec des modèles posant tous avec le même couvre-chef ; et la regrettée Doreen Canto (n°179) dont Gérard Courant fit l’une des héroïnes de She’s a very nice lady (le portrait est tout simple mais très beau : le jeune fille et son beau regard si clair est aussi photogénique que charismatique).
L’absence de « célébrités » ne signifie pas que l’on ne croise pas quelques personnalités bien connues des cinéphiles : le cinéaste « qualité France » Jean Dréville (n°155) (à qui l’on doit La cage aux rossignols, première version du futur succès Les choristes) qui se met un doigt dans le nez ou encore les critiques Jean-Jacques Bernard (n°152), speakerine attitrée de la chaîne CinémaClassic ou le futur directeur de la Cinémathèque Française Serge Toubiana (n°157).
Avouons que ces deux derniers Cinématons n’ont rien de transcendants. Plus réussis sont les deux portraits que Courant va rapporter de Bruxelles où il immortalise deux cinéastes que l’on retrouvera des années plus tard dans Le journal de Joseph M. Il s’agit de Roland Lethem (n°161) et Mara Pigeon (n°162). Le premier dissimule d’abord son visage avec le col roulé de son pull puis le laisse apparaître peu à peu en le triturant dans tous les sens avant de s’affubler de dents monstrueuses. Le résultat est amusant. Mara Pigeon dissimule aussi son visage derrière un masque d’argile et joue à montrer le « cinématoneur » avec un miroir. La lumière du film est très belle et lorsque la cinéaste fait craquer son masque, il prend une dimension quasiment fantastique et inquiétante. Bien joué !
Cette sixième étape aura été marquée avant tout par la rencontre avec la belle Marie Rivière à qui Courant offre deux Cinématons successifs (le 172 et le 173). Dans le premier, l’inoubliable héroïne du Rayon vert se contente d’être et de jeter un regard bleu vers un horizon lointain. Elle est assez magnifique. Dans le second, elle a plus tendance à jouer et à chercher à tenir la pose. Le résultat peut sembler un peu plus artificiel mais je l’aime beaucoup car la comédienne n’arrive pas à garder son sérieux et nous gratifie de nombreuses fois d’un merveilleux sourire.
Si cette rencontre paraît rétrospectivement importante, c’est que Marie Rivière inaugure en quelque sorte une longue série de portraits que le cinéaste va faire des héroïnes « rohmériennes » (il y aura ensuite Rosette, Béatrice Romand, Jessica Forde, Charlotte Véry, etc.). Rohmer était assez curieux de cette œuvre atypique qu’est Cinématon et il vint aux projections des portraits de ses actrices. C’est donc tout naturellement que Courant proposa au pourtant très discret cinéaste de tourner son Cinématon. Il se trouve que Rohmer accepta mais à condition que son portrait ne soit jamais projeté, ce qui était une manière élégante de refuser puisque la projection et la diffusion des Cinématons font parties intégrantes des règles du jeu[1].
Toujours est-il que la proposition ne fut pas vaine et qu’elle sera, en quelque sorte, retournée par Rohmer : s’il ne fera jamais l’ « acteur » pour Gérard Courant, il l’engagera pour être l’un des policiers qui suit la cleptomane dans le troisième épisode de Quatre aventures de Reinette et Mirabelle.
C’est ce qu’on appelle un joli clin d’œil…
[1] Dans le même ordre d’idée, je crois que c’est Louis Skorecki qui, sauf erreur, accepta de se faire filmer par Courant à condition que son Cinématon…soit le dernier ! Encore une manière de refuser en imposant des conditions impossibles à satisfaire !