Cinéma(ra)t(h)on : J-7
Cinématons 181-210 (1982) de Gérard Courant
Philippe Garrel Cinématon n°193
Beaucoup de cinéastes ont compté pour Gérard Courant et l’ont influencé. Pour ne citer que les plus évidents, citons en vrac les frères Lumière, Abel Gance, Godard, Mekas et les cinéastes « underground » américains, Snow, Warhol, etc. Mais il y en a deux qui, a mon avis, ont compté un peu plus que les autres et à qui il a d’ailleurs consacrés des ouvrages. Il s’agit de Werner Schroeter[1] et de Philippe Garrel, sorte de grands cousins tout juste un peu plus âgés que lui et capables de se lancer dans le cinéma très jeune en empruntant des chemins de traverse sans faire la moindre concession au système (rappelons que Garrel tourna son premier court-métrage à l’âge de 16 ans !).
C’est donc tout naturellement que l’on retrouve Philippe Garrel dans un Cinématon (n°193). Il est d’ailleurs assez amusant que ce portrait déteigne par rapport à ceux de cette septième étape. En effet, c’est le seul qui a été tourné en noir et blanc (depuis l’escapade new-yorkaise du cinéaste) et c’est aussi le seul qui est introduit par les cartons « classiques » du Cinématon. Il s’agit d’un tout petit détail mais j’ai constaté que depuis le n°181 (Katia Krivanek, une enseignante tchécoslovaque) jusqu’au numéro 210 (où je me suis arrêté provisoirement) ; l’écriture de ces cartons introductifs a été modifiées : elle est plus petite et moins déliée. Est-ce que Gérard Courant a fait appel à quelqu’un d’autre pour ces cartons ou s’est-il amusé à changer de calligraphie ? La réponse, peut-être, dans la rubrique commentaire !
Une autre curiosité de ce portrait de Garrel qui se contente de tirer sur sa cigarette et de montrer une cible prouvant qu’il est un excellent tireur (Garrel héros de western ? Ca fait rêver !), c’est que ce noir et blanc est très granuleux et le spectateur a vraiment la sensation que les premiers films de Garrel sont parvenus à « contaminer » ce Cinématon. L’effet est aussi étonnant que beau.
Pas de véritables « cinématons » scénarisés dans cette étape mais un peu toutes les attitudes que le spectateur commence à identifier : ceux qui ne font rien et qui dégage une véritable présence (le cinéaste mexicain Emilio Fernandez et son incroyable trogne n°187) et ceux qui en font des tonnes, à l’image de l’actrice allemande Paula Klein (n°206) qui passe les trois minutes à grimacer. Paradoxalement, ce qui s’avère souvent fastidieux passe assez bien ici et finit par magnétiser le spectateur : sans doute le privilège des jolis minois !
L’accessoire est bien évidemment de mise : Françoise Michaud (n°191) fume et boit directement à la bouteille sa Heineken (mais qui ne pardonnerait pas ses « mauvaises manières » a une femme aussi belle ?), le cinéaste Eric Lanz (n°184) se colle un bout de sparadrap sur la bouche (histoire de redoubler un dispositif qui fait taire – ô que ça fait du bien !- les gens ?) tandis que l’attachée de presse Agnès Béraud (n°208) joue avec de multiples lunettes de soleil.
D’autres jouent intelligemment sur le principe du masque et du dévoilement, à l’instar du cinéaste vénézuelien Carlos Castillo (n°201) dont le visage est déjà bien caché par une épaisse barbe et qui finit par l’enrubanner avec un foulard. L’artiste plasticien Diego Risquez (n°200) se montre d’abord de dos, quitte le champ par le bas du cadre et remonte tout doucement pour montrer son visage de face.
Si certains visages laissent de marbre (comme cette série mondaine tournée un soir en compagnie de nombreux critiques artistiques, y compris la célèbre Catherine Millet n°196, et de deux écrivains : Jacques Henric, n°194 et Guy Scarpetta, n°195), d’autres séduisent immédiatement comme celui de Rosette (n°192, nouvelle égérie rohmérienne à faire son entrée dans l’œuvre de Courant) qui parvient à réaliser l’exploit d’inventer le premier Cinématon parlant. Je m’explique : ce n’est certes pas la première fois que des modèles parlent à la caméra mais Rosette a une manière si particulière de le faire, avec sa gouaille et la fraîcheur de son sourire, que le spectateur est immédiatement persuadé d’entendre sa voix.
Un régal !
[1] C’est, par ailleurs, à Gérard Courant qu’on doit la mythique rencontre du cinéaste allemand avec Michel Foucault