Cinématon 1771-1800 (1995-1996) de Gérard Courant

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Robert Hue Cinématon n°1776

 

Qu'on le veuille ou non, les Cinématons sont aussi un témoignage précieux sur leur époque. En découvrant cette série de portraits tournés à La Courneuve à l'occasion de la « fête de l'Huma » après la « série rouge », je me suis dit que Gérard Courant était parvenu à saisir quelque chose de cet « homo festivus » très lucidement décrit par Philippe Muray.

Ce dont témoignent ces films, à travers notamment l'arrogance « nouveau riche » d'un Karl Zéro ou les pathétiques exhibitions branchouilles d'un Royer ou d'un Séguret ; c'est de cette normalisation de la subversion, de cet anticonformisme domestiqué dont Canal + fut le fer de lance.

A La Courneuve, Courant accentue ce sentiment de se retrouver dans une période « post-historique » où la véritable critique a depuis longtemps déserté et où l'on croise un certain nombre de ceux passés sans vergogne « du col Mao au Rotary » pour citer le grand Guy Hocquenghem (à lire ici), convertis désormais au festivisme et aux revendications partielles (n'est-ce pas, Roland Castro?).

 

Dans le genre, ça commence très fort avec Jacques Gaillot (n°1771). Mes lecteurs de moins de 30 ans ne se souviennent sans doute pas de ce sinistre évêque médiatique qui s'illustra en prenant des positions relativement « progressistes » par rapport à l’Église (soutien aux homosexuels, éloge du préservatif, etc.). D'une certaine manière, Gaillot fut au catholicisme ce que Mélenchon est aujourd'hui au stalinisme orthodoxe : une version « light », « moderne » ; donnant aux vieilleries les plus décrépites un vernis respectable et séduisant d'un point de vue médiatique.

Dans le même genre, il faut citer Robert Hue (n°1776), avatar postmoderne du stalinisme version nain de jardin. Comme ses confrères politicards (Cf. Jack Lang), notre bonhomme est mal à l'aise dans la mesure où il ne bénéficie pas du son pour pouvoir mentir !

Mais n'est-ce pas en Didier Daenincks (n°1775) que se mesure le mieux la mort de cette Gauche reconvertie à une unique lubie : la lutte antifasciste et anti-Le Pen ? Que « DD la donneuse, cette ordure de stal mouchard et frustré » [Thierry Marignac] présente à la caméra de Courant toute sorte de papiers (permis de conduire, carte d'électeur, carte d'identité...) n'étonne pas du tout de la part de quelqu'un qui n'a cessé de jouer les inquisiteurs et de ranger les individus dans des cases. Si vous n'êtes pas encarté comme DD, vous êtes un nazi en puissance à éliminer !

Finalement, ce qui résume bien cette récupération de la contestation par le Spectacle, c'est peut-être ce t-shirt de Che Guevara qu'arbore Messaoud Hattou (n°1777) : la révolte est devenu une marchandise et un produit publicitaire !

 

Par chance, le cinéaste ne va pas filmer que des individus de cet acabit. Le cinéaste Jacques Maillot (n°1773), très souriant, paraît beaucoup plus sympathique. Et c'est avec un grand plaisir qu'on croise le chemin d'André S. Labarthe (n°1778). Le réalisateur s'est séparé de son chapeau mais parvient à dégager une présence assez puissante en ne faisant pourtant rien à part tirer sur sa cigarette. On songe, dans le même genre, au Cinématon de Godard.

 

La fin du séjour à La Courneuve se révèle un peu plus lassant dans la mesure où les modèles ne font rien et défilent sur un fond blanc-bleu pâle toujours identique. Tout au plus pouvons-nous citer le rougissement de l'architecte Jean-Michel Daquin (n°1784) et les sautes d'image qui rendent le portrait de Céline Narcel (n°1790) assez intéressant.

 

Sur sa lancée, Gérard Courant va nous offrir quelques très jolis Cinématons. Mon préféré, c'est sans aucun doute celui du cinéaste Jacques Richard (n°1791) (dont le dernier film n'est malheureusement pas sorti à Dijon). L'auteur de Rebelote pose devant la Cinémathèque et descend vers la porte d'entrée qui se situe plus bas (la caméra est placée en haut d'un escalier). Il remonte lesdits escaliers, sort du champ (laissant au spectateur le loisir de contempler une véritable « vue Lumière ») et réapparaît...derrière la porte d'entrée avec des bobines de pellicules à la main. Il répétera ce petit manège plusieurs fois, jouant avec bonheur sur l'échelle des plans (on passe du gros plan au plan d'ensemble) et la profondeur de champ...

 

Le Cinématon de l'écrivain Maryse Condé (n°1793) se révèle aussi très beau dans la mesure où l'image est totalement surexposée. Du coup, notre modèle disparaît parfois totalement dans un halo éclatant de blancheur. Le reste du temps, alors qu'elle consulte un livre sur la peinture, son visage est nimbé dans cette lumière qui lui donne un aspect aussi primitif (on se croirait chez Griffith) que fantomatique.

 

C'est désormais un classique mais il faut citer le cas de Jérôme Amimer (n°1794) qui dégaine sa caméra Super 8 et se livre, une fois de plus, à un duel filmé avec Gérard Courant.

Le dessinateur Trez (n°1796), quant à lui, paraît plus concentré et montre beaucoup d'application à dessiner... une main tenant un stylo-feutre.

 

Nous disions la dernière fois que les Cinématons érotiques étaient terminés. Cela n'empêche pas le sexe de revenir par une autre porte. Ainsi, le cinéaste et Morlock Guy Pezzetta (n°1797) frise la crise d'apoplexie en feuilletant une revue porno qu'il présente parfois à la caméra. Après vérification, cela ne nous a pas vraiment étonné puisque Pezzetta fut assistant réalisateur sur de nombreux films X (la plupart signés James H Lewis alias Gilbert Roussel ou Jean Desvilles alias Georges Fleury) et qu'il assista également... Jess Franco sur son polar sexy Kiss me killer (une production Eurociné qui nous aimerions beaucoup découvrir!).

 

Enthousiaste, le comédien Jacques Penot (n°1798) montre divers d'objets à l'écran : un globe terrestre, de vieux albums photos, une plaque de rue etc. A l'inverse, Laure Adler (n°1799) impose une présence marmoréenne et elle ne consent à bouger que pour boire son café. La très légère contre-plongée accentue son allure glaciale.

Pour terminer, la chorégraphe Bianca Li (n°1800) commence par se barbouiller la figure en passant ses mains sur son maquillage. Puis elle enlève ses faux cils, sa perruque et se « recoiffe » frénétiquement.

C'est sur ce portrait agité que se termine l'étape du jour.

To be continued...

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