Cinématon 1861-1890 (1997-1998) de Gérard Courant

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Sisi Penaloza Cinématon n°1874

 

Après une petite pause estivale, nous retrouvons aujourd'hui Gérard Courant lors de son séjour canadien le temps de quelques portraits oubliables.

 

Si l’œuvre monumentale du cinéaste apparaît aujourd'hui comme un bon indicateur du temps qu'il passe, nul doute qu'elle est également un souvenir précieux du temps qu'il (a) fait. Ainsi, nous pouvons affirmer sans crainte qu'à la toute fin du mois de novembre 1997, il faisait très beau à Aubagne et qu'il devait faire assez doux.

L'enseignant en cinéma Richard Raskin (n°1864) profite de ce temps clément pour présenter des cartons à la caméra de Gérard Courant en jouant sur les paradoxes. En effet, il est question des bruits que notre modèle entend (le film étant muet, on ignore si c'est vrai ou pas) et du piège de la représentation (comme Magritte, un carton annonce qu'il ne s'agit pas de Richard Raskin et que « je est un autre »). Avec quelques mots griffonnés sur un carnet, notre homme parvient à théoriser les enjeux de Cinématon et de la représentation cinématographique et picturale en général. Pour conclure, il écrit que ce Cinématon s'autodétruira dans vingt secondes. L'image devient plus blanche et le couperet sans rémission de la fin de la pellicule conclut ce portrait très réussi.

 

En revanche, pour revenir à nos considérations météorologiques, on peut constater sans envie qu'il faisait très froid à Châteauroux deux semaines plus tard. Les seuls mots qu'articule la monteuse Nadine Tarbouriech (n°1870) et que le spectateur peut lire sur ses lèvres sont « j'ai froid » ! C'est dans cette ville que le cinéaste tournera le portrait le plus « célèbre » du lot : la comédienne Hélène Lapiower (n°1869) qu'on a pu voir chez François Margolin, Arnaud Desplechin, Jeanne Labrune ou encore Boris Lehman et Joseph Morder. Il s'agit sans doute du portrait le plus mélancolique de notre étape : l'actrice affichant un visage rêveur et un sourire triste rendus aujourd'hui encore plus poignants par sa disparition. Coïncidence, j'ai regardé ces Cinématons en écoutant une liste aléatoire de chansons et c'est la version musicale de Old souls (qu'on peut entendre dans Phantom of the paradise) qui a retenti à ce moment et ajouté une bonne dose de tristesse à ce beau film.

 

A la fin du mois d'avril, notre cinéaste globe-trotter repart pour le Canada et rapporte quelques jolis portraits dans sa musette. Le plus marquant est sans aucun doute celui de la cinéaste (?) Sisi Penazola (n°1874) qui parvient, à l'aide d'un petit pinceau, à inscrire toutes les lettres de l'alphabet sur son joli visage. On admire d'ailleurs la manière dont elle parvient à trouver la bonne place pour chaque lettre (le « i » sur l'arrête du nez, par exemple). L'artiste Kathleen Richardson (n°1875) pose derrière un bosquet fleuri tandis qu'Istvan Kantor (n°1877) joue les gourous hypnotiseurs avec un cintre sur la tête et un fer à repasser à la main. Au cours du film, il montrera également une série de livres à la caméra mais de manière trop rapide pour qu'on puisse réellement voir les titres (j'ai repéré néanmoins un ouvrage sur le cinéaste Derek Jarman que Courant avait d'ailleurs filmé en 1981 -Cinématon n°105).

 

Autre portrait intéressant, celui de Stephen Kent Jusick (n°1881), dans la mesure où il est filmé au ras du sol, ce qui permet au cobaye de se livrer à quelques grimaces avant de s'enfuir dans la profondeur de champ et revenir en faisant une galipette. Deirdre Logue (n°1882) parvient, dans un même élan, à passer du rire aux larmes : talent de comédienne ou catastrophe annoncée au moment du tournage ?

 

J'évoquais plus haut l'importance de la météo dans Cinématon : il convient également de souligner l'importance des lieux. Courant a tourné à peu près partout : sur des toits, des plages, des rivières. Mais cette fois, excusez du peu, il va nous offrir trois portraits tournés à proximité...des chutes du Niagara (les canadiennes) ! On les aperçoit fort bien dans le film de Lieven Debrauwer (n°1878) (le cinéaste s'amusant avec ses longs cheveux) tandis que c'est le fleuve qu'on devine lorsque arrivent les tours de Milada Kovacova (n°1879) et d'Olga Samolevskaya (n°1880).

 

La plage de Dunkerque apparaît tout de suite après comme moins exotique mais elle offre au cinéaste l'occasion de deux jolis portraits. Richard Skryzak (n°1883) profite dans un premier temps du soleil printanier puis finit par se lever pour disparaître dans la profondeur de champ. Ce qu'il y a de très réussi dans ce film, c'est la composition du plan avec trois éléments verticaux (un panneau au centre et deux balises sur la gauche) qui structurent le cadre et un couple sur la droite qui regarde en direction de la mer.

Le peintre Jean-Louis Poivret (n°1884) consulte quant à lui le quotidien local (La voix du Nord) et le spectateur peut lire un titre d'article invitant les lecteurs à suivre prochainement un événement sportif promis à une certaine célébrité : le mondial de football.

 

De retour à Paris, Gérard Courant filme une comédienne allemande (Katja Sambeth, n°1885) qui joue intelligemment avec l'idée de cadre en plaçant devant quelques parties de son corps (son nombril, le tatouage qu'elle a dans le bas du dos) et de son visage un petit cadre en bois qui transforme ainsi chaque partie en véritable blason. A partir du moment où un artiste pose un regard, délimité par un cadre, sur un corps ; il le transforme en quelque chose d'autre (une œuvre d'Art?).

 

Pour terminer, le cinéaste filme un complice (il apparaît dans le « carnet filmé » : Périssable paradis) avec qui il partage une passion sans limite pour le vélo : Arnaud Dazat (n°1888). Ce dernier pose, évidemment, sur un vélo d'appartement et pédalera pendant plus de trois minutes en posant sur sa tête une kippa puis une casquette. Il lève les bras lorsque arrive la fin du film et nous resterons sur cette image de « victoire » pour terminer notre étape...

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