Cinéma(ra)t(h)on : J-90
Cinématon 1981-2010 (1999-2000) de Gérard Courant
Gérard Courant Cinématon n°2000
Gérard Courant (n°2000) est quand même très fort. Il a réussi a tourné le n°1000 de ses Cinématons le dernier jour de 1987, soit 10 ans après avoir commencé son film. Et s'il a pris davantage son temps pour les 1000 suivants, il est parvenu à tourner le numéro 2000...le premier janvier 2000. Gageons qu'il atteindra le numéro 3000 au début de l'année 2018, soit 40 ans après avoir débuté sa série ! Toujours est-il qu'il y a quelque chose de très serein dans ce portrait tourné devant un rideau rouge. Le cinéaste ne fait rien mais offre le visage de quelqu'un de satisfait après la tâche accomplie.
On pouvait craindre que pour arriver à ce numéro 2000 en temps et en heure, le cinéaste « gonfle » artificiellement son œuvre en allant filmer le premier venu. Or ce qui frappe dans cette série de portraits allant du numéro 1981 au 1999, c'est la concentration de personnalités de premier plan. Sans être forcément des « stars », on ne trouve quasiment que des gens reconnus dans leurs disciplines, que ce soit la poésie avec Camille Aubaude (n°1982) (qui ne s'épile pas les aisselles mais qui affiche néanmoins une petite quarantaine très sexy) ou la peinture (Gérard Fromanger, n°1992, sobre devant ses toiles).
On croisera également tout le gotha du cinéma expérimental avec l'historienne Sally Shafto (n°1984), le cinéaste Patrick Deval (n°1985), membre du groupe Zanzibar et réalisateur du film Acéphale ou encore la cinéaste et spécialiste du cinéma lettriste Frédérique Devaux (n°1991) qui observe attentivement un morceau de pellicule. Il faut aussi évoquer le « Pip show » du réalisateur et, aujourd'hui, éditeur de DVD Pip Chodorov (n°1993) qui sort régulièrement du cadre par le bas et remonte doucement, le visage dissimulé par des masques.
On croise également des cinéastes plus « célèbres » dans la mesure où ils sont distribués dans les circuits « officiels ». Je pense surtout au portrait apaisé de Vincent Dieutre (n°1995). Mais même lorsqu'on a le sentiment de ne pas les connaître, on réalise en effectuant une rapide recherche que le cinéaste et écrivain indien Vijay Singh (n°1997) bénéficie d'une certaine renommée et que le cinéaste grec Panos H.Koutras (n°1994) est bel et bien l'auteur de ce film devenu mythique : L'attaque de la moussaka géante !
Enfin, Gérard Courant va immortaliser trois comédiens mythiques, occupant une place tout à fait à part dans le cœur des cinéphiles. Il commence avec Zouzou (n°1988), l'inoubliable héroïne de L'amour l'après-midi de Rohmer et égérie de Garrel, qui passe son temps à lever les yeux au ciel et à tirer sur sa cigarette. Le temps a passé et abîmé son beau visage (elle a désormais quelque chose de Jeanne Moreau) mais sa beauté mélancolique reste intacte.
C'est ensuite au tour de Gérard Blain (n°1996) de se faire tirer le portrait. Cet immense comédien (inutile de rappeler ses liens avec la Nouvelle Vague) et cinéaste à la gueule burinée dégage une incroyable aura et son charisme est magnétique. Il affiche un visage souriant et s'amuse beaucoup à prendre Gérard Courant en photo.
Enfin, dans une belle lumière chaleureuse et mordorée, le cinéaste prend comme modèle l'inoubliable héroïne de La maman et la putain d'Eustache, Françoise Lebrun (n°1998) pour un portrait lui aussi empreint de mélancolie.
En guise de cerise sur le gâteau, on peut citer l'apparition du comédien Serge Avedikian (n°1999, interprète principal du Pull-over rouge de Brach) qui se présente à nous déguisé en clown avant de se démaquiller peu à peu pour nous offrir son « véritable » visage.
Le numéro 2000 semble, en revanche, avoir porté un coup d'arrêt (provisoire) au film puisque Gérard Courant restera six mois sans tourner un seul Cinématon. Il s'y remet en juin 2000 lors d'un festival à Pantin où il va filmer toute une délégation coréenne (le plus « célèbre » restant sans aucun doute Jeong Jae-Eun n°2004 qui a réalisé un gros succès du cinéma coréen : Take care of my cat. Il s'amuse lui aussi à prendre en photo celui qui le filme à l'aide d'un bel appareil Nikon)
Au cours de ce festival, le cinéaste va croiser le chemin de la comédienne Blandine Lenoir (n°2006) qu'on a pu voir chez Gaspar Noé (c'est la fille de Nahon dans Carne et Seul contre tous). Là encore, elle s'amuse à prendre Courant en photo avec un Polaroid (on peut ainsi voir le résultat « en direct ») et avec un appareil jetable.
Passe ensuite devant la caméra le grand Jean Abeillé (n°2007) (si personne ne connaît son nom, je vous défie de ne pas connaître son visage!) dont le physique singulier (si bien exploité par Mocky et Moullet) fait, une fois de plus, merveille. Courant le fera d'ailleurs tourner à cette époque dans son Homme des Roubines.
Cette étape dense se termine par le portrait d'un homme que je ne connaissais pas mais qui bénéficie d'une petite renommée : Rodolphe Cobetto-Caravanes (n°2010), qui passe le temps de son film à se coiffer.