Cinématon 2131-2160 (2006-2007) de Gérard Courant

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Pedro Costa Cinématon n°2146

 

Voir ou ne pas voir ? Super 8 ou vidéo, tout est affaire de regard dans Cinématon. C'est ce que tend à prouver le portrait de Pierre-Yves Vandeweerd (n°2132) qui essaie une série de lunettes chez un opticien.

Comme je le disais précédemment, la vidéo apporte désormais un supplément de « visible » en offrant une incroyable netteté à l'arrière-plan des films, si bien qu'on a l'impression que le cinéaste Cyprien Barbe (n°2131), par exemple, pose devant un paysage en transparence. Ce que les films perdent du côté des visages (beaucoup plus picturaux avec le Super 8, format qui adoucit les traits et confère une sorte d'aura lointaine), ils le gagnent du côté des paysages et de la profondeur de champ. Je suis persuadé que le film de Vincent Arnaud (n°2151), tourné sur l'île d'Alicudi, n'aurait pas été aussi beau en Super 8. Parce que le cinéaste peut se mouvoir dans l'arrière-plan et rester net et que les couleurs ressortent parfaitement ici.

Cette netteté permet à François Fronty (n°2137) d'interroger le dispositif même de Cinématon. Dans un premier temps, on ne voit que son reflet dans une porte vitrée. Il est en train de regarder dans la caméra de Gérard Courant et de prendre conscience du cadre dans lequel il va évoluer. Il peut alors s'approcher et prendre place dans le plan. Il repartira à la fin de son portrait pour vérifier que rien n'a bougé. La vidéo exacerbe d'une certaine manière tout ce que le dispositif Cinématon sous-tend : d'un côté, l'image brute donne une impression de plus grande proximité et de vérité mais, comme le montre Fronty, ce qu'offre le modèle n'est aussi qu'un reflet de son véritable être. Une illusion, en somme...

Le marathonien prend désormais un certain plaisir à observer ce qui se passe derrière les personnes filmées : les quidams qui traversent le champ, les paysages ou monuments qui font office d'arrière-plans, les statues qui jouent désormais un rôle identique à celui du modèle, comme dans le beau portrait d'Alessandra Celesia (n°2139) qui, à la manière d'Alain Chabat, se force à boire trois grands verres d'eau (l'ex-Nul la buvait directement à la bouteille) et jette des regards langoureux à l'homme sculpté à côté d'elle.

Cette netteté permet même de faire appel à des figurants. C'est ce que fait le photographe Paul Eden (n°2147), spécialiste du nu masculin : tandis qu'il feuillette des livres d'art (sur Klimt, Modigliani...), un homme nu pose au fond de la pièce (le dossier de la chaise du photographe masque tout ce qui se trouve en-dessous de sa taille!).

 

En revanche, un portrait tourné dans le noir d'une salle de cinéma (celui d'Annick Ghiljzellings n°2134) aurait sans doute gagné à être filmé en Super 8. Éclairé par la lumière du film projeté, son visage se distingue trop nettement pour acquérir la dimension mystérieuse et lointaine conférée par la pellicule.

 

Lors du séjour qu'il a effectué à Bruxelles à la fin de 2006, Gérard Courant va également filmer le critique (aux Cahiers du cinéma avant de rejoindre l'équipe d'Independencia) Cyril Neyrat (n°2140) et le cinéaste portugais Pedro Costa (n°2146) qui offre une image fidèle de ce que peut être son œuvre  : austère (un unique fond blanc) et statique (l'auteur d'Ossos fixe la caméra pendant un certain temps sans effectuer le moindre mouvement).

 

A partir de 2007, Gérard Courant semble d'avantage évoluer dans les milieux littéraires que dans le monde du cinéma. Il filme un certain nombre d'écrivains (Sarah Vajda n°2148 est celle que je connaissais le mieux), notamment chez son ami et complice Alain Paucard. On reconnaît les lieux grâce à une étagère où trônent un certain nombre de livres dédiés à Paris. Chez Paucard, Courant expérimente le noir et blanc (portraits de l'éditeur Florent Georgesco n°2149 et de la comédienne Dalila Zéhar n°2150), croise une critique littéraire qui se maquille (Stéphanie Des Horts n°2153), et une habituée des ondes de Radio-Courtoisie (Paucard va lui permettre de filmer de nombreux chroniqueurs de cette station) Marie-Joséphine Strich (n°2159).

On croisera également Antoine Buéno (n°2154) qui a fait parler de lui récemment avec son essai sur les Schtroumpfs ou Isabelle Viéville Degeorges (n°2155) qui se barricade derrière des livres de la collection « Bouquins ».

Mais le plus beau portrait du lot est incontestablement celui, très touchant, de l'écrivain Cécilia Dutter-Prunier (n°2156) qui propose quelques réflexions sur des cartons (sur le thème «écrire », « sens », « littérature »...) et montre à la suite des couvertures de livres. Lorsque arrive le thème « donner la vie », elle propose à la caméra le dessin de l'un de ses enfants et termine par une magnifique citation d'Aristote : « Tu connaîtras la justesse de ton chemin à ce qu'il t'aura rendu heureux ».

Voilà une jolie pièce en sept actes pour représenter quelques « choix de vie » et une excellente conclusion à l'étape de ce jour...

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