Gérard Courant ayant eu la gentillesse de m’apporter 21 (!!!) DVD de ses propres œuvres, je vous propose un petit panorama de quelques uns de ses films singuliers.


Zanzibar à Saint Sulpice est un court-métrage de neuf minutes qui pourrait être une sorte de version longue des « portraits de groupe » qu’affectionne Courant. Le groupe Zanzibar est une constellation informelle d’artistes (peintres, cinéastes, modèles…) regroupés sous cette bannière au moment de Mai 68. C’est sous ce label que furent distribués (et en partie financés par la mécène Sylvina Boissonnas) certains des premiers films de Philippe Garrel (Le révélateur, le lit de la vierge…). 30 ans après, tous ces gens se retrouvent dans un café place Saint-Sulpice à Paris et Gérard Courant immortalise le tableau avec sa caméra Super-8. Au-delà du côté « people » (retrouver Serge Bard, Philippe Garrel, Zouzou, Jackie Raynal et les autres à la terrasse d’un café) se dessine en creux toutes les obsessions de Courant : le temps qui passe, la capacité du cinéma a fixer les instants précieux pour l’éternité, la fidélité en amitié…


Retour à l’Eldorado est l’un des derniers épisodes des « Carnets filmés » du cinéaste. Episode qui me touche particulièrement puisque la majeure partie de ce court film d’une demi-heure relate la venue de Courant à l’Eldorado, haut lieu de la cinéphilie dijonnaise et qu’il s’agit donc d’une soirée que j’ai vécue en tant que spectateur.

Dans un premier temps, il filme le contrechamp des interviews qu’il a donné à ce moment là (notamment à Aurélio Savini, réalisateur d’une série d’entretiens vidéos que je vous conseille d’aller consulter ici) puis enregistre la première intervention de Joseph Morder au cours de la table ronde qui réunissait les deux cinéastes. Enfin, le film se termine par une petite visite à la mère du cinéaste résidant alors dans un centre de convalescence. Encore une fois, ce carnet filmé touche par l’obsession que met Courant à conserver des traces à tout prix, à fixer des instants qu’on regardera plus tard comme de précieux témoignages.

 

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Evoquons maintenant les dispositifs les plus connus du cinéaste avec les compilations « érotiques » qu’il m’a concoctées. Je vous fais grâce des trois « cinématons » dijonnais dont l’un fut une épreuve terrible lorsqu’il s’est agit de le regarder.

Les Cinématons offrant au « modèle » filmé la liberté la plus totale quant à ce qu’il veut faire devant la caméra, on se doute que certains en ont profité pour s’exhiber même si ça reste quand même étonnamment rare.

Si je vous dis qu’au menu du casting, on trouve Brigitte Lahaie avec un cheval, je vois votre œil égrillard se mettre à briller… Eh bien, non ! L’érotisme ne rime pas forcément avec exhibition. En l’occurrence, le portrait de l’ex-star du X français est le plus sage du lot : la comédienne se contentant de poser sous une très belle lumière à côté d’un cheval un brin récalcitrant qui semble vouloir occuper tout l’espace du cadre.

Sur les 20 « Cinématons érotiques » compilés, seuls deux ou trois jouent réellement sur l’imagerie érotique classique : la comédienne Elodie effectue un strip-tease dans les règles de l’art (mais la durée du dispositif nous frustre de la conclusion) et l’écrivain (et maquerelle !) Johanne Maiböll met en scène un rituel sado-masochiste en se laissant bâillonner, ligoter, fesser puis fouetter devant la caméra de Courant (c’est sans doute le « cinématon » le plus « hard » du lot).

Les autres relèvent d’autres catégories de « l’érotisme » : certains jouent sur la provocation la plus immédiate, je pense au réalisateur Jakobois qui termine son cinématon en s’enfonçant un thermomètre dans le derrière ou à l’acteur Marc Monjou qui ne montre que son sexe. Bouyxou se contente de montrer des photos « hard » et de jouer avec de la lingerie fine (dans un portrait très drôle) tandis que Gérald Lafosse laisse la caméra de Courant cadrer les jambes écartées d’une femme en culotte et bas et de faire apparaître son visage au dernier moment, après avoir fait rentrer dans le cadre (seulement dans la cadre, pas de mauvais esprit, s’il vous plaît !) un maximum de crucifix.

Le cinématon étant un gros plan, certains vont en profiter pour jouer avec le hors champ, mais ce qui m’a frappé, c’est qu’aucun ne va au bout de cette idée en laissant le spectateur dans l’incertitude. Qu’elles gardent un vêtement qu’on n’avait pas vu au début (la très belle Florence Jaugey, Marie-Madeleine Fuger) ou qu’elles finissent seins nus (Zette Kraiser, Coco, Annie Queueran…), il faut toujours que les « cinématonées » se lèvent pour ne pas laisser planer d’ambiguïté…

 

La série Couples repose sur le même principe que Cinématon : un plan fixe muet de 3 minutes et 20 secondes où les personnalités filmées sont libres de faire absolument ce qu’elles veulent. La différence vient de la valeur de cadre (le plan large remplace ici le gros plan du Cinématon) et du fait que Courant filme ici des couples (« légitimes » ou réunis pour le seul plaisir de jouer ensemble).

A partir du moment où il y a deux personnes et que le plan devient plus large, on quitte la vérité du gros plan pour revenir à quelque chose de plus théâtral. Il y a néanmoins de belles exceptions, comme ce portrait très tendre des époux Tacchella qui ne font presque rien, à part partager le cadre et laisser transparaître leur complicité. Idem pour le journaliste suisse Charles-Henri Favrod et sa femme qui se contentent de s’offrir mutuellement des cerises.

Pour le reste, l’érotisme va de la scène la plus classique (le baiser hollywoodien dans des Couples qui rappellent le Kiss de Warhol) à la plus hard (celui de Bruno Monseigneur et Tatchina d’Empirsh où cette dernière pisse en gros plan dans un verre de vin avant de le donner à boire à son complice !). Le théâtre se fait souvent la part belle, avec ce magnifique épisode qui réunit Noël Godin et Julie Grelley et où les deux complices réinventent un couple burlesque à la Laurel et Hardy ou tous ceux où intervient l’excellent Alain Paucard (pas moins de 5 !) J’aime particulièrement celui où l’écrivain attend assis, en contre-plongée qu’arrive Marie-Madeleine Fuger, la déshabille (elle reste néanmoins en lingerie), la fait se mettre à quatre pattes et… l’utilise comme table basse pour poser son plateau à café ! Ca pourrait être un roman-photo du professeur Choron !

S’il manque peut-être à la série Couple la véracité du Cinématon, ce petit échantillon burlesque (il faudrait citer tous les épisodes où les protagonistes se travestissent, échangent leurs vêtements, se battent pour (ne pas) se montrer : voir Jauffret et Nordon qui tentent d’exhiber les corps de leurs compagnes qui résistent plus ou moins) se révèle très plaisant et souvent très drôle.

 

Par ailleurs, en revoyant ces deux compilations des deux dispositifs de Courant, je me demandais s’il n’avait pas anticipé et inventé les « réseaux sociaux » : revoir tous ces individus qui profitent de la liberté accordée par ces dispositifs pour s’exhiber annonce d’une certaine manière ces sites où l’on discute avec des inconnus en se montrant devant sa webcam. Comme sur Chatroulette, on peut tomber sur quelqu’un qui exhibe son sexe avant de passer à un autre visage, un autre corps.

La grande différence, c’est que le « contrôle » du cinéaste, la rigidité de ses dispositifs permettent, paradoxalement, une liberté et une vérité bien plus grandes que celles que n’auront sans doute jamais les utilisateurs des « réseaux sociaux »…

 

 

 


 

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