Dans le métro
Le sommeil de la foule (2012) de Cyprien Leduc et Antoine Janot (Editions L'Harmattan)
Il y a quelques années, Charles de Zohiloff publiait sur son blog Grand magasin des photos d'inconnus qu'il prenait dans le métro. La beauté de ces clichés tenait avant tout à ce sentiment de solitude qui en émanait mais aussi dans cette manière qu'avait le photographe d'isoler un individu de la masse inerte de la foule pour lui rendre sa singularité. Dans la mesure où ces photos étaient prises par surprise, sans consentement du modèle mais sans pour autant dissimuler l'appareil, les « regards caméra » n'étaient pas rares et accentuaient le caractère flottant et hébété de l'atmosphère générale.
Si ces images me sont revenues en mémoire, c'est que le titre Le sommeil de la foule aurait parfaitement convenu à ce blog. Et si les cinéastes Cyprien Leduc et Antoine Janot descendent eux aussi dans le métro, c'est pour rapporter une œuvre au style radicalement différent.
En effet, cet essai se veut avant tout « poétique » (pas forcément une bonne nouvelle) et abstrait. La référence, écrasante, qui vient immédiatement à l'esprit, c'est Dziga Vertov puisque les réalisateurs nous proposent un montage dynamique d'éléments hétéroclites, multiplient les inserts sur des petits détails, composent des plans abstraits en s'appuyant sur leur décor (reflets dans des vitres mouillées, embrasures de portes, lignes verticales et horizontales...), jouent sur la vitesse et le mouvement, s'adonnent à toute une palettes d'effets (split-screen, séquences animées, plans inclinés, surimpressions, ralentis, accélérés...) et expérimentent toute une gamme d'ambiances sonores et de bruitages.
Plus qu'à l'auteur de L'homme à la caméra, on songe à un D.J travaillant la matière même de l'image et du son en jouant sur le mixage, les effets de répétition, de dilatation et de compression...
Le film n'est pas dénué de talent. On ne peut pas nier un véritable travail sur le cadre, sur les rythmes, les rimes et la bande-son. Mais il lui manque cruellement ce qui faisait la beauté du travail de Zohiloff : la dimension humaine.
Les seuls êtres vivants que nous verrons dans Le sommeil de la foule sont quelques musiciens ambulants que les cinéastes ne filment pas tellement bien dans la mesure où ils n'arrivent pas à les faire exister dans un lieu. Sinon, rien... Des silhouette floues de mendiants, les chaussures de quelques quidams mais pas de visages, de regards... Un seul, pour être honnête : une jeune femme au regard lointain au milieu d'un groupe de Krishna. Quelques secondes suffisent pour que la singularité de la jeune fille blonde fasse affleurer une émotion un peu inédite au cœur du dispositif.
Après, je suppose que les auteurs ont sans doute craint ce fameux « droit à l'image » qui finira par anéantir le genre documentaire. Ou peut-être que leur propos est ailleurs et qu'ils cherchent à recréer des ambiances insolites à partir d'un décor familier (celui du métro). Mais au bout du compte, il ne reste qu'un exercice de style assez habile mais un peu creux et répétitif.
Plus proche de « l'art vidéo » que du documentaire ou du ciné-œil de Vertov, Le sommeil de la foule m'a laissé un peu froid mais pourra éventuellement intéresser les amateurs d'expérimentations visuelles et sonores ne se satisfaisant plus des visions naturalistes, impressionnistes ou documentaires proposées par le grand écran...