Othello (1952) de et avec Orson Welles. Version restaurée en salles depuis le 23 avril 2014. (Éditions Carlotta Films).

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Je l'ai déjà dit souvent, c'est à la fois très difficile et souvent dérisoire d'avoir la prétention d'écrire sur certains cinéastes dont les œuvres ont été commentées, disséquées, analysées des milliards de fois. Orson Welles fait bien entendu partie du corpus de ces « monuments » dont on se demande par quel angle les aborder pour ne pas se contenter d'un chapelet de platitudes et de banalités (vous n'y échapperez sans doute pas!). Il y aurait bien la solution de l'attaque frontale mais ça serait puéril et totalement injustifié tant les film de Welles demeurent éblouissants.

Tout au plus puis-je reconnaître humblement que, même si j'adore le cinéaste et que je trouve la plupart de ses films absolument géniaux (Othello fait bien évidemment partie du lot) ; ce n'est pas non plus l’œuvre qui résonne en moi de la manière la plus intime. Comme Eisenstein, Griffith et quelques autres, Welles est un monument que j'admire sans réserve mais à qui je préfère certains cinéastes qui me touchent beaucoup plus profondément (Lubitsch, Sirk, Minnelli pour rester dans les grands noms d'Hollywood).

 

Que dire d'Othello ? Se contenter de données factuelles ? Qu'il s'agit de la deuxième des trois adaptations de Shakespeare qu'Orson Welles réalisa (entre MacBeth et Falstaff) et que cette version qui sort actuellement en salles est une « nouvelle version » (par rapport à celle présentée à Cannes en 1952 et celle qui circula aux États-Unis en 1955) initiée par la troisième fille du cinéaste en 1992 et qui est aujourd'hui restaurée en numérique à 2k.

Qu'importe les considérations techniques (j'avoue humblement que je suis un piètre connaisseur en la matière) : c'est la puissance de la mise en scène et le génie visionnaire de Welles qui sidèrent dès les premiers plans d'Othello.

C'est le moment venu alors pour énumérer les caractéristiques du « style Welles », au risque de sombrer dans la redite et les banalités de base. Évoquer la puissance de son montage et la force expressionniste de ses cadrages. Othello est un condensé de son style : les violentes contre-plongées qui créent une tension permanente tant les personnages semblent s'agiter en vain entre des forces qui les dépassent (la présence de ces ciels immenses ou de ces impressionnants plafonds dans les plans soulignent le côté dérisoire et pathétique des destinées humaines) , la superbe utilisation de la profondeur de champ qui donne à la composition de chaque plan une beauté picturale saisissante, le travail sur l'ombre et la lumière... De la même manière, en bon cinéaste démiurge, Welles s'approprie la pièce de Shakespeare et montre d'emblée qu'il veut en faire une œuvre cinématographique. C'est le sens de ce prologue qui va à l'encontre de la pièce et montre déjà la mort des personnages principaux. La tragédie se jouera le temps d'un long flash-back permettant à Welles de bouleverser la chronologie de l’œuvre de Shakespeare.

 

Que dire encore ? Parler de la superbe interprétation de Welles dans le rôle du « Maure de Venise » ? Saluer la parfaite direction artistique de l’œuvre (la superbe photographie, les magnifiques décors d'Alexandre Trauner...) ?

 

C'est d'autant plus difficile de parler de ce film qu'il faut, en plus, se confronter à un monument du patrimoine littéraire. Même si j'aime énormément Le procès, il me semble que l'univers de Shakespeare convient mieux à Welles que celui de Kafka. Ce mélange de bruit, de fureur, de tragédie, de bouffonnerie est particulièrement bien adapté au style baroque et expressionniste du cinéaste. Je ne ferai pas l'affront à mes lecteurs de redire qu'Othello narre le drame d'un homme amoureux chez qui son ennemi Iago va instiller le poison du doute et de la jalousie.

Une des tartes à la crème de la critique consiste souvent à chercher dans les œuvres de Welles des réminiscences de sa propre expérience (plus ou moins malheureuse) de cinéaste à Hollywood. Y-a-t-il une part de Welles cinéaste dans Othello et sa folie ? En interprétant de manière un peu aventureuse, on pourrait dire qu'il s'agit de deux individus qui cherchent à tout contrôler et régenter leur propre univers. Mais il suffit qu'un doute s'insinue (le soupçon d'infidélité , la jalousie pour Othello ; les studios qui prennent la main sur les œuvres du cinéaste...) pour que tout s'effondre et que ces démiurges soient dépossédées (de leur femme ou de leur œuvre). Cette relation un peu paranoïaque qu'Othello entretient avec son entourage, peut-on y voir une image de Welles cinéaste se méfiant de tout ce qui touche à son travail ?

 

Vous allez me dire que cette interprétation est tirée par les cheveux. Vous n'aurez pas tort mais je vous avais prévenus : c'est impossible de parler de l’œuvre monumentale de Welles sans tomber dans le travers de la banalité ou de l'exégèse improbable.

Contentons-nous donc de savourer cette magnifique adaptation de Shakespeare !

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