Quatre étranges cavaliers (1954) d’Allan Dwan avec John Payne, Lizabeth Scott, Dolores Moran

Tornade (1954) d’Allan Dwan avec Cornel Wilde, Yvonne de Carlo, Raymond Burr, Lon Chaney Jr.

(Editions Sidonis Calysta). Sortie le 13 mars 2014.


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Les quatre films de Dwan que ressortent actuellement les éditions Sidonis appartiennent à ce fameux corpus de 10 films que le cinéaste tournera pour le producteur Benedict Bogeaus à la RKO[1]. Outre leur économie de moyens, ces films ont la particularité d’avoir été tournés avec la même équipe technique : John Alton à la photographie, Louis Forbes pour la musique, James Leicester au montage et souvent les mêmes comédiens (John Payne, Ronald Reagan).

 

Tornade, deuxième film de la série, est sans doute le moins intéressant des deux titres. Il s’agit d’une histoire de vengeance menée par Juan Obreon (Cornel Wilde) après la mort de sa fiancée. Celle-ci a été sauvagement assassinée (ainsi que ses parents) par les hommes de main de Domingo, riche propriétaire terrien désireux de récupérer un terrain occupé en vertu d’un accord oral par la famille de Rosa.

Le film souffre, à mon avis, de son manque de moyens et d’un scénario pas toujours très maîtrisé (le rapport un peu étrange entre Obreon et le capitaine Rodriguez – Raymond Burr- qui le poursuit tout en lui laissant le loisir d’accomplir sa vengeance).

Ces réserves posées, ce film étrange qui oscille entre le western sous la neige (les scènes finales assez belles quoique un peu modestes dans les montagnes) et le mélodrame (il est rare de voir dans un film de ce genre un héros viril avec les larmes aux yeux) parvient néanmoins à séduire. Le début du récit est, à ce titre, assez remarquable. Dwan a un don incroyable pour parvenir en quelques scènes à donner une profondeur à ses personnages et à les faire exister à l’écran. Il suffit qu’Obreon revienne dans la maison Melo pour retrouver Rosa pour offrir à cette famille un passé (on apprend en même temps que le personnage qu’il est père d’un petit garçon), une histoire (l’éleveur ignorait avoir mis la jeune fille enceinte, ayant dû repartir conduire les troupeaux) et un avenir possible (le mariage devant concrétiser cette union).

Dwan nous propose un tableau pastoral de cette vie de famille avec beaucoup d’humour, de tendresse (voir le moment où Obreon fait connaissance avec son fils ou quand il tente de le calmer) et de délicatesse.

Cette subtilité dans le traitement des personnages parvient à supplanter le caractère parfois un peu mécanique des ficelles scénaristiques. Si les péripéties sont parfois un peu téléphonées, Dwan parvient à complexifier les liens entre les personnages, à leur donner de l’ampleur. Pour prendre un exemple précis, on constatera comme dans Quatre étranges cavaliers qu’Obreon a d’abord toutes les apparences contre lui. S’il tue un des hommes en légitime défense, il se fait surprendre par le capitaine alors que la victime venait de témoigner en sa faveur, avouant son crime. De la même manière, le cinéaste confirme son talent pour peindre de beaux personnages féminins même s’ils paraissent un peu à la périphérie de l’action. Ici, c’est Yvonne de Carlo qui endosse à la fois le rôle de Rosa, la fiancée assassinée et celui de Tonya, la sœur de Rosa. Tonya est un personnage possédant une forte personnalité et qui offre un contrepoint toujours intéressant à ces histoires d’hommes.

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Avant Tornade, Allan Dwan avait inauguré sa série de film pour la RKO par le splendide Quatre étranges cavaliers (Silver Lode). Là encore, il n’a pas bénéficié de beaucoup de moyens mais cette économie lui permet de déployer des trésors d’ingéniosité et de nous offrir un récit concentré et foudroyant. Parce que le cinéaste respecte ici la règle des trois unités théâtrales (lieu, temps, action), Silver Lode a souvent été comparé au Train sifflera trois fois qu’il supplante pourtant largement.

Pour Dwan, il suffit de presque rien pour faire naître la fiction : une petite bourgade de l’Ouest américain qui s’apprête à fêter le 4 juillet et à célébrer le mariage de Dan Ballard (John Payne). A ce moment débarque les quatre étranges cavaliers du titre français. MacCarthy (Dan Duryea), le leader, prétend qu’il est marshall et qu’il vient arrêter Ballard pour le meurtre de son frère.

Là encore, en quelques scènes, Dwan parvient à poser parfaitement le décor de son action et à donner aux personnages une profondeur et une véritable ambigüité. Qui est réellement Ballard ? A-t-il tué ? Immédiatement, le passé des personnages remonte à la surface et par ces évocations, le cinéaste fait travailler l’imaginaire du spectateur.

Il y a quelque chose de Fritz Lang dans ce film où le héros ne cherche pas à se déculpabiliser, où toutes les apparences sont contre lui (dès que MacCarthy tue un homme, il accuse sa proie) et où l’opinion de la foule se révèle parfaitement versatile. Alors que Ballard est d’abord considéré comme un ami et un homme « bien », il devient la bête à traquer sans répit. Si Dwan est un cinéaste classique qui privilégie la sobriété du style (d’où son surnom de « Howard Hawks de la série B ») et un découpage invisible ; cette chasse à l’homme donne lieu soudainement à un travelling ahurissant qui accompagne le mouvement de Ballard dans une petite ville transformée soudainement en terrain de chasse. Dans cette scène, la profondeur de champ est utilisée à merveille et Dwan évite la pure virtuosité pour donner du sens à ce long mouvement de caméra (le sentiment d’isolement du héros, d’un espace « piégé »). La mise en scène regorge par ailleurs de petits détails inventifs : l’arrivée des cavaliers pendant le mariage (là encore, la profondeur de champ est très intelligemment utilisée), la présence du hors-champ lorsque Ballard se cache dans une sorte de grenier (une scène similaire adviendra dans Tornade) ou encore la confrontation finale dans un clocher avec ce fameux moment où la balle tue le méchant par ricochet (image forte d’une punition divine[2]).

Certains exégètes ont noté la dimension « politique » de Quatre étranges cavaliers. En effet, le marshal s’appelle MacCarthy et condamne un innocent avec un papier extrêmement douteux (c’est d’ailleurs pour cette raison que la ville soutient dans un premier temps Ballard, doutant de l’identité de cet homme de loi). Mais ces allusions à la situation politique des Etats-Unis ne me semblent être pas la chose la plus intéressante du film. C’est davantage la grande ironie de Dwan (parfaitement « langienne » pour le coup) qui séduit puisque Ballard, d’abord traqué en raison d’un faux papier, sera gracié et pardonné grâce…à un faux télégramme ordonné par les deux formidables personnages féminins du film : la fiancée officielle du héros (Lizabeth Scott) et son ancienne petite amie (Dolores Moran), fille aux mœurs plus libres et à la langue bien pendue.

Du coup, le cinéaste brouille un peu les frontières entre les notions de vrai et de faux, de Bien et de Mal (même si Ballard était en légitime défense, il a néanmoins tué le frère de MacCarthy), du juste et de l’injuste.

 

L’intelligence de la mise en scène et la densité de l’action font de ces Quatre étranges cavaliers un véritable petit chef-d’œuvre qui me donne l’envie de découvrir plus en détails l’œuvre de Dwan car - et je finirai sur cette confession- il s’agit des deux premiers films que je vois de ce cinéaste que je n’avais jamais réussi à croiser auparavant !



[1] Outre les deux films chroniqués par mes soins, on pourra voir La reine de la prairie et Le bagarreur du Tennessee (aussi connu sous le titre Le mariage est pour demain).

 

[2] Dans Tornade, un des malfrats finit par se confesser après avoir aperçu dans la pièce un crucifix. Pas de bigoterie chez Allan Dwan mais une présence du surnaturel et d’un « ordre divin » que l’on retrouve aussi dans le finale du même Tornade.

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