Erotisme : les réponses de JP.Bouyxou
Inutile de présenter Jean-Pierre Bouyxou à mes lecteurs réguliers qui savent parfaitement qu'il est l'un des historiens du cinéma les plus passionnants (ceci dit sans fausse flagornerie!) dans la mesure où il a toujours manifesté une curiosité sans limite pour les continents les plus inconnus du cinéma (séries Z improbables, érotisme, cinéma expérimental; etc.). La science-fiction au cinéma (chez 10/18) est l'un de mes livres de chevet sur le septième art et je lis et relis sans arrêt les magnifiques articles que l'auteur a donné pour Une encyclopédie du nu au cinéma. Je pourrais également vous parler de Fascination pendant des heures, de l'admirable Aventure hippie mais je vous laisse découvrir pour l'heure ses réponses à ce fameux questionnaire, en espérant qu'elles susciteront un regain d'intérêt pour icelui...
1 - Quel est votre plus ancien souvenir d'émoi érotique ayant un lien avec le cinéma ?
Ça remonte à loin ! Mes parents, qui n’avaient trouvé personne pour me garder, m’avaient emmené avec eux voir Elle n’a dansé qu’un seul été, un mélo d’Arne Mattson qui faisait alors scandale. Ils savaient que ce n’était pas « un film pour les enfants », mais sans doute considéraient-ils que j’étais encore trop mioche (je devais avoir six ans) pour percevoir l’érotisme de celui-là. Ouiche ! J’en ai tout oublié depuis, je serais incapable de dire de quoi parlait le scénario, je ne me rappelle pas d’une seule séquence, mais je me souviens parfaitement que j’avais été tourneboulé jusqu’à l’os par les fugitives images de nudité féminine qu’on y apercevait.
Mais je pourrais aussi bien, un autre jour, citer un autre film : j’allais très souvent au cinoche quand j’étais gosse, et mes souvenirs de cette époque sont aussi entremêlés que nombreux.
2- Quels films (un par décennie depuis les années 20) représentent pour vous le summum de l'érotisme ?
Dure tâche ! Je vais être obligé de citer des titres presque au hasard, que je pourrais indéfiniment remplacer par d’autres en y réfléchissant un peu. Mais bon, allons-y sans trop gamberger !
* Années 20 : L’Aurore, de Murnau. Ou L’Inconnu, de Tod Browning. Ou Folies de femmes, de Stroheim. Ou La Femme et le pantin, de Jacques de Baroncelli. Ou un film avec Louise Brooks (Une fille dans chaque port, de Hawks, ou Loulou, de Pabst)…
* Années 30 : impossible de départager Dracula, de Tod Browning, King Kong, de Schoedsack et Cooper, Dr Jekyll and Mr Hyde, de Mamoulian, Tarzan et sa compagne, de Cedric Gibbons, et, disons, L’Impératrice rouge, de Sternberg. Plus, en joker, Il est charmant, de Louis Mercanton.
* Années 40 : Le Corbeau, de Clouzot. Ou Pattes blanches, de Grémillon.
* Années 50 : pourquoi pas Ah ! les belles bacchantes, de Jean Loubignac ? Ou alors J’avais sept filles, de Jean Boyer. Ou Le Sang du vampire, d’Henry Cass. Ou La Fille dans le filet, une production brésilienne dont le nom du réalisateur m’échappe (ne pas confondre avec La Red, d’Emilio Fernandez, qui, dans le genre, n’était d’ailleurs pas mal non plus). Ou L’Etrange Obsession, de Kon Ichikawa.
* Années 60 : un Benazeraf, au choix, ex æquo avec L’Horrible Dr Orloff, de Jess Franco (dans sa version française, dotée de plans additionnels tournés spécialement pour notre beau pays). Et, bien sûr, les trois titres-phares de l’érotisme horrifique anglais du tout début de la décennie : Les Maîtresses de Dracula, de Fisher, Peeping Tom, de Powell, et L’Impasse aux violences, de Gilling. Avec, en prime, quelques « nudies » incontournables : Faster, Pussycat ! Kill ! Kill !, de Russ Meyer, The Animal, de Robert Lee Frost, Mondo Keyhole, de John Lamb, Sinderella and the Golden Bra, de Loel Minardi. Ne pas oublier, non plus, le plus toqué des nanars allemands : Le Mort dans le filet, de Fritz Böttger. Ni un bon petit Rolf Thiele de derrière les fagots (j’hésite entre Lulu, Venusberg ou Wälsungenblut). Ni Quand l’embryon part braconner, de Wakamatsu. Ni un quelconque film italien de music-hall (mettons Sexy proibitissimo, de Marcello Martinelli). Ni L’Effroyable Secret du Dr Hichcock, de Riccardo Freda. Ni Embrasse-moi, idiot, de Billy Wilder. Ni, enfin, un des trois courts métrages psychédéliques d’Etienne O’Leary (peut-être Day Tripper, le premier chronologiquement, qui fut un choc pour moi).
* Années 70 : Ma femme est un violon, de Pasquale Festa Campanile. Ou Les Expériences érotiques de Frankenstein, de Jess Franco. Ou SuperVixens, de Russ Meyer. Ou L’Empire des sens, d’Oshima. Ou Behind the Green Door, des frères Mitchell. Ou Just Another Woman, de Toby Ross. Ou Les Désaxées, de Michel Lemoine. Ou Frustration, de Benazeraf. Ou Lèvres de sang, de Jean Rollin. Ou Pakeezah, de Kamal Amrohi. Ou… ou des dizaines d’autres. Ce fut une décennie tellement faste !
* Années 80 : plus dure a été la chute ! Là, aucun titre ne me vient spontanément à l’esprit. Ah, si : S.O.B., de Blake Edwards. Et Pandora’s Mirror, de Warren Evans. Et La Clef, de Tinto Brass.
* Années 90 : n’importe quel film sauf Eyes Wide Shut, de Kubrick. Tirons au sort et sortons de notre gibecière Curse of the Cat Woman, de John Leslie.
* Années 2000 : Baise-moi, de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi, cité ici par défaut.
3 et 4- Quelle acteur/actrice a su vous montrer la plus belle chevelure ? Les plus beaux pieds ?
La chevelure : celle de Louise Brooks (mais il serait plus juste de parler de sa coiffure). Ou celle d’Yvette Mimieux quand, dans La Machine à explorer le temps, de George Pal, elle relève coquettement ses cheveux sur sa nuque pour demander à Rod Taylor si ce genre de coupe lui siérait.
Les pieds : après avoir hésité entre ceux de Miriam Hopkins dans le Jekyll/Hyde de Mamoulian et ceux d’une actrice dont j’ignore le nom dans Les Secrets derrière le mur, de Wakamatsu, j’opte pour ceux de l’interprète anonyme (Kiki de Montparnasse ?) d’un court métrage clandestin (et sans titre) de la fin des années 20 ou du début des années 30, non signé mais attribuable à Man Ray. On n’y voit pratiquement que les ripatons de ladite dame et la verge de son partenaire.
5- Si tout comme dans La Rose pourpre du Caire, un personnage devait sortir de l'écran et vous accompagner quelques jours avant de disparaître à jamais, qui serait-il ?
La jeune Carol Lynley d’El Perdido me tenterait assez.
6- Quelle est votre scène de pluie préférée ?
Celle de Et mourir de plaisir, de Vadim (eh oui !), où Elsa Martinelli et Annette Stroyberg, pour s’abriter d’une averse, se réfugient dans une serre où elles échangent un baiser. La musique de Jean Prodomidès contribue pour beaucoup à l’érotisme de la séquence.
7- Y a-t-il une musique de film qui saurait accompagner vos ébats amoureux ?
La BO de The Wall, par les Pink Floyd. Mais il est évident que ma compagne et moi cesserions de l’écouter, et même de l’entendre, au bout de quelques secondes d’ébats.
8- Avez-vous vu dans un film un vêtement que vous aimeriez porter ou offrir ?
Porter : la cape de Bela Lugosi dans Dracula, mais j’aurais probablement l’air con en me baladant avec ça sur le dos.
Offrir : la tenue arachnéenne d’Estella Blain dans Dans les griffes du maniaque, de Jess Franco.
9- Existe-t-il une actrice de films pornographiques que vous aimeriez voir dans un film d'un autre genre ?
Je verrais bien Zara White reprendre le rôle de Marguerite dans un remake de La Vache et le prisonnier.
10- Quelle est la scène (ou le film) ayant le mieux stimulé votre odorat ?
Chaque fois que je vois L’Ange bleu, de Sternberg, j’ai l’impression que le film est en odorama : on y renifle un parfum de petites culottes. Et le Nosferatu de Murnau, dans un registre tout différent, me paraît toujours sentir la moisissure, la putréfaction, la mort.
11- Si vous pouviez prolonger une séquence soudain interrompue, quelle porte fermée rouvririez-vous, quel rideau tiré écarteriez-vous ou quel panoramique s'esquivant vers le décor anodin, redresseriez-vous ?
Chaque fois qu’il y a une ellipse dans un film, j’ai envie de voir ce qu’on a décidé de me cacher. Mais, dans le fond, n’est-ce pas encore mieux de l’imaginer, de le fantasmer ?
12 et 13- Quelle actrice ou quel acteur a su vous montrer la plus belle poitrine ? Les plus belles dents ?
Même si je ne suis pas un inconditionnel de l’hypertrophie mammaire à la Russ Meyer, les lolos les plus émouvants de toute l’histoire du cinéma sont indubitablement ceux de Christina Lindberg, à la fois plantureux et mignards.
Les plus belles quenottes ? Celles d’Andree Melly dans Les Maîtresses de Dracula.
14- Vous êtes enfermé jusqu'au matin, avec le partenaire de jeu de votre choix, dans un musée berlinois qui a reconstitué des centaines de décors de films. Lequel choisissez-vous pour votre nuit ?
Plutôt qu’un partenaire, je préfèrerais une partenaire. Par exemple, Louise Willy dans le décor du Coucher de la mariée. Je suis persuadé que ce serait exquis…
15- Quel est pour vous le mot, la phrase ou le dialogue le plus empreint de sensualité ?
« Encule-moi », feulé d’une voix mourante par une actrice d’allure virginale, dont j’ai oublié le nom, dans un film X de la fin des années 70, dénué de tout intérêt par ailleurs, dont j’ai oublié le titre.
16- Quelle est votre scène de douche préférée ?
Est-ce bien au début de Red Dust, de Victor Fleming, que Jean Harlow prend une douche tout à fait affriolante ? J’ai la flemme de vérifier !
17- Existe-t-il une actrice que vous aimeriez-vous voir dans un film pornographique ?
Bardot à l’époque de ses débuts.
18- Quel film et/ou quel cinéaste vous paraît le moins érotique ?
Le Genou de Claire. Eric Rohmer.
19 et 20- Quelle actrice ou quel acteur a su vous montrer le plus beau ventre ? Les plus belles mains ?
Le ventre de Martine Beswick dans Prehistoric Women, de Michael Carreras.
Les mains de Kathleen Burke quand on découvre ses griffes de femme-panthère dans L’Ile du Dr Moreau, d’Erle C. Kenton.
21- Quelle est la scène (ou le film) ayant le mieux stimulé votre goût ?
Sophie Daumier servie sur un plateau, toute nue et parée de persil, aux gourmets d’Aimez-vous les femmes ?, de Jean Léon.
22- Quelle est votre comédie musicale préférée ?
Sous un angle strictement érotique, la scène de Blonde Venus où Marlene Dietrich émerge d’une peau de gorille en chantant « Hot Voodoo ». Ou Prix de beauté, d’Augusto Genina, lorsque Louise Brooks meurt au-dessous de l’écran où elle interprète « Je n’ai qu’un amour, c’est toi » avec la voix d’Hélène Regelly. Mais ni Blonde Venus ni Prix de beauté ne sont des comédies musicales ; alors, s’il faut absolument en citer une vraie, ce sera Le congrès s’amuse, d’Erik Charrel, pour la délicieuse Lilian Harvey.
23- En inversant le principe de La Rose pourpre du Caire, si vous pouviez pénétrer dans un film, lequel choisiriez-vous ?
Les Compagnons de la nouba, de William A. Seiter, pour faire la bringue chez les femmes de mauvaise vie avec Laurel et Hardy.
24- Quelle est votre scène muette entre deux amants préférée ?
La longue orgie de Behind the Green Door. Et, s’il faut vraiment se limiter à deux personnages, l’étreinte d’Yvonne Monlaur et Michel Lemoine dans Le Concerto de la peur, de Benazeraf.
25- Quel film vous a toujours semblé manquer d'une ou de plusieurs séquences érotiques ?
La Passion de Jeanne d’Arc, de Dreyer. Avec un peu de cul, ce serait peut-être un film moins mortellement chiant.
26- Quel est pour vous le plus beau plan de femme ou d'homme endormi ?
Barbara Steele dans L’Effroyable Secret du Dr Hichcock, de Freda.
27 et 28- Quelle actrice ou quel acteur a su vous montrer la plus belle nuque ? Le plus beau sexe ?
La nuque : Louise Brooks, encore elle.
La foufoune : Lina Romay, parce que Jess Franco nous fait partager la fascination qu’elle exerce sur lui.
29- Vous prenez miraculeusement, au sein d'un film, la place d'un potentiel partenaire sexuel : lequel ?
J’adorerais être à la place d’Earle Foxe dans The Last Man on Earth, de John G. Blystone, où il est le dernier homme sur une Terre peuplée de femmes.
30- Quelle voix vous a le plus troublé au cinéma ?
Celle de Zarah Leander lorsqu’elle chante « Der Wind hat mir ein Lied erzählt » dans La Hanabera, de Detlef Sierck (Douglas Sirk).
31- Y a-t-il un film classé X, dont vous aimeriez découvrir le remake sans aucune scène pornographique ?
Non.
32- Quelle est votre scène de danse préférée (hors comédies musicales) ?
Le tango lesbien de Harlis, de Robert van Ackeren. Mais un autre tango est presque aussi godant : celui que guinchent Rita Cansino (future Rita Hayworth) et Gary Leon dans Dante’s Inferno, de Harry Lachman.
33 et 34- Quelle actrice ou quel acteur a su vous montrer les plus belles fesses ? Le plus beau sourire ?
Les fesses : celles de Bardot dans La Femme et le pantin, de Duvivier (qui est pourtant un mauvais film).
Le sourire : celui – à peine esquissé - de Melissa Stribling dans Le Cauchemar de Dracula, de Fisher, quand elle dissimule à son mari que Dracula vient de la vampiriser.
35- Existe-t-il un plan, une séquence ou un film qui aient réussi à vous émoustiller sans avoir à priori été conçus à cet effet ?
Je n’ai jamais compris pourquoi Les Chagrins de Satan, de Griffith, m’avait mis dans un fol état d’excitation la première fois que je l’ai vu : c’est, je crois, l’un des rares films qui m’ont fait physiquement bander. Lors des visions suivantes, il a continué de me troubler plus que de raison, mais sans me porter à pareil degré d’émoi.
36- Quelle actrice ou quel acteur aimeriez-vous voir grimé en l'autre sexe ?
Aucun, aucune, encore que Marlene Dietrich en smoking me semble tout à fait désirable. Mais si Jack Lemmon (Certains l’aiment chaud), Charlie Chaplin (Charlot joue Carmen) ou Lionel Barrymore (Les Poupées du diable) m’amusent ou m’époustouflent quand ils se vêtent en femme, ils ne me troublent pas.
37-Quel regard-caméra vous a le plus ému ?
A la fin de Monika, de Bergman. Mais je ne suis pas sûr que cela me remuerait de la même façon en revoyant le film aujourd’hui.
38- Quel réalisateur est selon vous le mieux parvenu à filmer l'acte sexuel (hors films pornographiques) ?
Freddie Francis dans Dracula et les femmes (l’initiation vampirique de Veronica Carlson par Christopher Lee : elle est allongée sur son lit et tient une poupée de son enfance ; il se penche sur elle ; la caméra descend et cadre sa main qui lâche la poupée…).
39- Est-ce le même que celui que vous considérez comme le plus grand maître en érotisme ?
Non. Le champion toutes catégories, en matière d’érotisme, reste Sternberg.