Fleur bleue contondante
Fais-moi très mal mais couvre-moi de baisers (1968) de Dino Risi avec Nino Manfredi, Pamela Tiffin, Ugo Tognazzi. (Editions L.C.J) Sortie le 5 avril 2014
En découvrant ce film de Dino Risi, j'ai réalisé avec stupeur que cette histoire me disait quelque chose. Et au bout d'une demi-heure, le déclic m'est venu : Pascal Thomas a fait un remake (poussif mais fidèle) de ce scénario avec Ensemble, nous allons vivre une très, très grand histoire d'amour. C'est dire si le film de Risi est méconnu car, à ma connaissance, aucun critique n'a signalé au moment de la sortie du film de Thomas qu'il s'agissait d'un remake (quelqu'un a même parlé d'un scénario pour un projet abandonné!).
Scénarisé par les incontournables duettistes de la comédie « à l'italienne » Age et Scarpelli ; Fais-moi très mal mais couvre-moi de baisers présente un visage un peu différent du Risi que l'on connaît d'abord pour ses comédies féroces (Le fanfaron, Les monstres). Dans ce film où un coiffeur (Nino Manfredi) tombe amoureux d'une jolie jeune femme (P.Tiffin) avant de voir ses fiançailles se briser à cause de calomnies, le cinéaste laisse percer un romantisme sous le vernis de l'ironie qui annonce, en quelque sorte, ses grands films « secrets » des années 70/80 (Fantôme d'amour, Parfum de femme). En effet, après la rupture avec la belle Marisa, qui se remariera avec un tailleur sourd-muet (Ugo Tognazzi), Marino part à Rome pour la retrouver à tout prix. A chaque fois qu'il trouve un emploi, il est renvoyé car il est toujours prisonnier de son obsession pour la belle.
Cette quête donne à Risi l'occasion d'exercer sa proverbiale verve satirique. Citons, au hasard, cette scène très drôle où un bourgeois mondain fait tout un cinéma autour d'un vin « sublime » jusqu'au moment où Marino lui apprend qu'il s'est trompé de bouteille et qu'il s'agit d'un vin ordinaire, utilisé pour l'office à l'église ! Le temps de quelques scènes, c'est la férocité légendaire du cinéaste qui réapparaît comme dans ce passage où un « père Noël » filou montre à Marino comment piller les troncs des bonnes œuvres (avec une fine tige et un bout de chewing-gum au bout).
On se demande d'ailleurs si ce passage n'a pas inspiré l'équipe du Splendid pour Le père Noël est une ordure puisque cet horrible « père Noël » conseille à son interlocuteur d'appeler « SOS amitiés » et qu'il tombe sur un psychologue qui ne veut pas louper son repas de Noël et qui assomme notre amoureux déçu par des interprétations totalement saugrenues de sa situation.
Mais toutes ces saillies drolatiques n'empêchent pas un certain « romantisme » qui n'a rien à voir avec la vision poussiéreuse et rétro du film de Thomas. D'une part, parce que le film s'inscrit parfaitement dans son époque (quand les amants vibrent devant Docteur Jivago – ce qui donnera lieu à un pastiche assez savoureux- c'est que le film de Lean vient de sortir sur les écrans italiens!) ; d'autre part parce que cette histoire d'amour obsessionnelle finit par devenir un peu tordue et frise parfois la tragédie (je ne révèle pas la fin mais la pirouette est excellente, tirant le film vers un humour absurde qui annonce le Mocky du Miraculé).
Sans être un grand film de Dino Risi, Fais-moi très mal mais couvre-moi de baisers est une très agréable comédie, très bien écrite et interprétée avec beaucoup de talent (on regrette encore que LCJ nous propose qu'une version française ou une version italienne non sous-titrée!). C'est peu dire que Manfredi a plus de charisme que le ridicule Julien Doré. Et même si j'ai un bon souvenir de Guillaume Gallienne dans le rôle du tailleur sourd-muet, il faut bien admettre qu'Ugo Tognazzi est encore plus grandiose. Avec ce rôle facétieux, il nous a semblé proche d'Harpo Marx chez qui le burlesque et la pure poésie cohabitent à merveille.
La sortie en DVD de ce film méconnu est donc une belle occasion de se replonger dans l’œuvre (inégale) de Dino Risi et de constater que derrière ses allures de satiriste impitoyable et méchant se cachait également un romantique fleur bleue...