Garçon manqué
Tomboy (2011) de Céline Sciamma avec Zoé Héran, Malonn Levana, Mathieu Demy
Ca n’est pas, à mon avis, rendre service à Céline Sciamma que de l’ériger d’emblée en génie comme la majeure partie de la critique l’a fait à l’occasion de la sortie de Tomboy, son deuxième long-métrage. Que la jeune cinéaste ait beaucoup de talent, c’est indéniable et il ne s’agit pas ici de jouer les rabat-joie pour le simple plaisir de râler.
Comme dans Naissance des pieuvres, il me semble qu’il y a dans ce film des qualités et de jolies choses mais également des lourdeurs, une manière de surligner parfois les intentions et de les forcer.
Plus personne n’ignore aujourd’hui le principal ressort dramatique de Tomboy : une petite fille aux cheveux courts décide subitement de se faire passer pour un garçon en se faisant appeler Mickaël. Les choses ne sont pas dites immédiatement : la réalisatrice laisse planer le doute pendant un quart d’heure, jusqu’à ce moment fatidique où la mère de l’enfant l’appelle Laure.
A ce point de jonction du récit, quelque chose cloche déjà un peu. Si le changement de point de vue est habile (alors que le spectateur avait du retard sur la cellule familiale en la prenant pour un garçon, il en sait désormais plus que tous les autres enfants qui ignorent qu’elle est une fille), ce renversement a déjà quelque chose d’un peu artificiel (les parents n’ont jamais prononcé son prénom auparavant) et de souligné (le spectateur entend ce prénom féminin au moment précis où la petite sort de son bain et ne laisse plus planer aucun doute quant à son identité sexuelle).
Il me semble d’ailleurs que c’est au niveau des articulations du récit que le film est le plus faible. D’une part, parce qu’elles sont extrêmement visibles (que ce soit la baignade et ce moment délicat où il va falloir apparaître en maillot de bain devant les autres, puis la découverte de la vérité par la petite sœur de Laure qui va devenir sa complice avant que les parents puis les enfants réalisent le subterfuge). D’autre part, parce qu’elles donnent toujours le sentiment d’une narration à la fois trop écrite et « pensée ». On sent sans arrêt la note d’intention derrière ces charnières, quitte à friser l’artificialité la plus complète (cette manière qu’a, par exemple, la petite sœur -qui n’a que six ans- de comprendre immédiatement la situation et de mentir pour protéger Laure).
Au fond, ce que raconte Tomboy est exactement la même chose que ce que Sciamma montrait dans Naissance des pieuvres : la naissance d’un sentiment amoureux d’une petite fille pour une autre petite fille. Mais comme l’homosexualité reste quelque chose de tabou (c’est de moins en moins vrai mais je ne fais que répéter ce que dit le film, voir à ce propos la manière dont les gamins ont déjà intégré certains sentiments homophobes : qu’une fille embrasse une autre fille, voilà qu’ils trouvent ça « dégueulasse » !), il s’agit de contourner le problème et de se « transformer » en garçon.
Là encore, la vision des genres de Céline Sciamma me paraît un peu problématique : à la fois extrêmement lucide lorsqu’elle montre comment les enfants intègrent immédiatement des codes et préjugés purement « sociaux » et en même temps un tantinet caricaturale (les garçons, ce sont ceux qui jouent au foot torse nu et qui crachent comme des gorets – je réclame le droit à la lapidation pour tout individu crachant sans vergogne dans les rues, coutume répugnante héritée des sportifs primates !- tandis que les filles sont celles qui se maquillent). On sent alors chez la cinéaste un certain dégoût pour la gent masculine (que je peux d’ailleurs assez bien comprendre) qu’elle manifestait déjà dans la scène (ratée) de la boite de nuit de Naissance des pieuvres.
Conjointement à ces défauts énumérés, il est évident que Céline Sciamma fait preuve d’une vraie sensibilité. Ce qui fonctionne le mieux dans Tomboy, c’est cette manière qu’elle a de capter l’enfance, entre une certaine « artificialité » (certains dialogues sonnent trop « écrits » dans la bouche de jeunes enfants mais, pour le coup, ça n’est pas un défaut car cela lui permet de s’éloigner du naturalisme étriqué) et un vrai sens du naturel. Les jeux de l’enfance, les chahuts, les bagarres, les premiers sentiments : tout cela nous ramène du côté de Truffaut (L’argent de poche) ou de Doillon.
Il est probable que cette histoire la touche également personnellement et cette sincérité irradie l’écran à travers la présence de la petite Zoé Héran, absolument parfaite avec ses airs androgynes et son regard si clair. Ce côté « impressionniste » (la lumière du film est très belle) fait le charme de Tomboy.
Mais encore une fois, ça n’est ni Les 400 coups (Truffaut), ni L’enfance nue (Pialat), Mes petites amoureuses (Eustache) ou Le jeune Werther (Doillon) : juste un petit film charmant d’une cinéaste talentueuse dont l’œuvre gagnera certainement en profondeur et en maturité si elle ne se laisse pas bouffer par les dithyrambes démesurées de la critique…