La fiancée de la jungle (The bride and the beast) (1958) de Adrian Weiss avec Charlotte Austin, Lance Fuller, Steve Calvert (éditions Artus Films)

Sortie le 1er juin 2010

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Après le Z italien, les excellentes éditions Artus Films nous invitent à nous plonger dans l’univers du film de jungle avec cette improbable Fiancée de la jungle et son gorille de pacotille. Encore une fois, il convient de saluer le travail éditorial de la maison : une copie satisfaisante (on est loin de la perfection mais le cinéma d’exploitation ne s’y prête guère) en double version (VF et VO sous-titrée) et, surtout, un excellent bonus où l’indispensable Christophe Bier nous refait l’historique des comédiens ayant endossé la défroque du gorille au cinéma. L’érudition et l’humour de l’historien de toutes les déviances cinématographiques font merveille et rendent ce supplément passionnant.

Si Adrian Weiss n’a laissé aucune trace dans les histoires du cinéma en tant que réalisateur[1] (La fiancée de la jungle semble être son unique long-métrage pour le grand écran), son film a de quoi éveiller la curiosité des cinéphages pervers dans la mesure où il fut scénarisé par… Ed Wood.

Le résultat est totalement aberrant mais assez délectable, malgré un tunnel au milieu du film qui manque à chaque instant d’assommer totalement le spectateur.

Détaillons.

Le film s’ouvre sous les meilleurs auspices puisque nous voyons une jeune femme (Laura) ressentir un certain trouble à la vue d’un gorille que son époux (Dan, un chasseur de fauves) a capturé et enfermé dans sa cave. Suite à une séance d’hypnose (il faut ce qu’il faut !), un médecin ami du couple découvre que Laura a été une gorille dans une vie antérieure (on ne rit pas ! Je mettrais volontiers la main d’Alain Minc au feu que Roseline Bachelot et Christine Boutin le furent aussi !), expliquant ainsi les yeux doux du quadrumane pour la belle et le goût de celle-ci pour… la fourrure (Ed Wood trouvant ainsi une belle occasion de laisser éclater son fétichisme pour les pulls angora !).

La première demi-heure du film est totalement imprégnée de ce délire qu’on ne peut imputer qu’à l’auteur de Glen or Glenda et Plan nine from outer space : outre des plans de scènes de rêves et d’hypnose tournés à grands coups de « stock-shots » et de voix-off grandiloquente ; on s’amuse beaucoup à décrypter le sous-texte éminemment sexuel de l’œuvre. Même si l’ensemble est d’une chasteté irréprochable (nous sommes en 58 !), le désir de la belle pour la bête crève littéralement les yeux et le cinéaste parvient même à faire naître un certain trouble.

 

En revanche, lorsque ce grand nigaud de Dan décide d’emmener sa jeune épouse dans la jungle pour chasser, les choses se gâtent. Cette partie centrale du film est axée autour d’une (interminable !) partie de chasse filmée toujours de la même manière, prouvant d’ailleurs que Weiss n’a jamais eu l’occasion de lire l’article d’André Bazin Montage interdit puisqu’elle ne fonctionne qu’en champs/contrechamps : d’abord un plan du couple dans le coin d’un décor miteux d’un studio californien, suivi immanquablement d’un contrechamp sur des « stock-shots » de documentaires animaliers jamais raccords. Au spectateur de croire ensuite que notre héros poursuit réellement les tigres, lions, girafes et rhinocéros qu’il voit ! Weiss s’inscrit ici dans la pure tradition du film de jungle (très populaire dans les années 30, 40) et son exotisme de pacotille, ses animaux dangereux (attention aux tarentules !) et son paternalisme suranné (il faut voir ces figurants grimés en domestiques noirs, souriant aux bontés des maîtres blancs !). Sauf qu’ici, nous sommes dans un film d’exploitation de dixième catégorie et que le film souffre de son rythme mollasson et d’un manque de moyens criant à chaque plan.

Fort heureusement, le dernier quart d’heure nous réserve quelques belles surprises avec le retour des gorilles et un scénario qui repart en vrille sous la houlette de maître Wood, qui semblait avoir mis un frein à ses obsessions délirante lors de la partie purement « aventures » de l’œuvre. Je ne vous dévoilerai pas cette fin assez ahurissante (où alors, en échange de dons coûteux que vous pourrez me faire : envoyez moi des messages !) mais sachez qu’elle a été interprétée comme une preuve du « féminisme » d’Ed Wood et que cette vue de l’esprit me paraît assez juste.

En fin de compte, si l’on passe quelques insupportables longueurs qui laissent l’impression d’un « ventre mou » au cœur du film, La fiancée de la jungle prouve une fois la folie totale du scénariste Ed Wood qui parvient ici, même sans avoir réalisé le film, à placer toutes ses obsessions et à dynamiter une série Z exotique par le caractère hautement invraisemblable de ses élucubrations…

 

 

 


[1] En revanche, le cinéphile déviant constatera avec délectation que notre bonhomme fut monteur de quelques séries Z et notamment du mythique Dance Hall Racket, « burlesque movie » que nous rêvons de découvrir dans la mesure où il est signé Phil Tucker (l’inoubliable auteur d’un des films les plus tocards de toute l’histoire du cinéma : Robot monster) et qu’il a été coécrit et interprété par l’excellent… Lenny Bruce !

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