Coffret Bela Lugosi : L’immortel. White Zombie (1932), The mysterious Mr.Wong (1934), Voodoo Man (1944) (Editions Artus Films)

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«  Grand nerveux, névropathe abusant des stupéfiants, Bela Lugosi apporta au cinéma une de ses plus étonnantes figures. Seules les destinées diverses d’un Louis II de Bavière, d’un Don Miguel de Manara ou d’un Byron peuvent lui être comparées. », écrivait Jean Boullet (Bizarre n°24/25) de celui qui restera à jamais dans la mémoire des cinéphiles comme le premier interprète du « prince des vampires » pour Tod Browning (Dracula, 1931). Mais pour le cinéphage déviant, le nom de Bela Lugosi évoque également la star déchue, héroïnomane, qui termina sa carrière chez Ed Wood (qui peut oublier son rôle de narrateur dans le surréaliste Glen or Glenda ?) et multiplia les cachetons dans d’ineffables séries Z produites entre autres par la Monogram. 

Les éditions Artus nous offrent aujourd’hui l’occasion de redécouvrir les différentes facettes de ce fabuleux acteur que fut Lugosi (né Blasko en 1882 et mort en 1956).

 

D’abord par le biais d’un impeccable documentaire intitulé Lugosi : Hollywood’s Dracula qui retrace la vie (l’homme fut un fieffé séducteur et eut de nombreuses conquêtes, notamment la comédienne Clara Bow, bombe sexuelle des années 20 qui inspira Betty Boop !) et la carrière du comédien.

Lugosi tint dans un premier temps des rôles de jeune premier au théâtre et devint un habitué du répertoire shakespearien. Mais ses idées jugées « trop à gauche » l’oblige à quitter sa Hongrie natale pour l’Allemagne (il tournera sous la direction de Murnau) avant d’émigrer aux Etats-Unis à partir de 1921.  

Sa renommée arrive lorsqu’il incarne Dracula sur les planches à la fin des années 20. D’une certaine manière, il ne se remettra jamais de ce triomphe mondial puisque son nom sera désormais systématiquement associé à ce personnage qu’il incarnera de nombreuses fois au cinéma (pour Tod Browning, bien sûr, -il sera notamment le héros de La marque du vampire- mais également dans des séries B et Z), à la télévision et même jusqu’à son lit de mort puisque la légende veut qu’il se soit fait enterrer avec son costume de vampire[1].

Lorsque les studios Universal décident de se lancer dans la production de films autour des grands mythes du fantastique, Lugosi manque le coche en refusant le rôle de la créature de Frankenstein, rôle qui reviendra à celui qui allait devenir à la fois son rival et son ami (ils tournèrent plusieurs films ensemble) : Boris Karloff. Il va néanmoins devenir une figure incontournable du cinéma fantastique en tournant dans des adaptations d’Edgar Poe (Double assassinat dans la rue Morgue de Robert Florey, Le chat noir d’Ulmer…), ou d’HG.Wells (L’île du docteur Moreau de E.C.Kenton). Il ne fera que quelques rares incursions hors du genre et l’on se souvient de sa prestation savoureuse dans le Ninotchka de Lubitsch.

Peu à peu, sa carrière stagne et décline (le fantastique n’a plus le vent en poupe à la veille de la deuxième guerre mondiale). Par la suite, Lugosi sera condamné à souvent se singer lui-même et à reprendre le même type de rôle dans des films de plus en plus fauchés. Il deviendra l’un des comédiens fétiches de William Beaudine (nous allons en reparler mais sachez que je rêve toujours de découvrir  Bela Lugosi Meets a Brooklyn Gorilla !) et d’Ed Wood qui poussera le vice jusqu’à le faire tourner… après sa mort dans Plan 9 from outer space (en recyclant quelques images tournées avant le décès du comédien et en utilisant  un autre acteur, filmé systématiquement…de dos ou avec une cape sur le visage, pour le remplacer !) et croisera même la route de quelques équipes comiques pas piquées des hannetons, que ce soit nos chers Abbott et Costello (Abbott et Costello meet Frankenstein) ou les East Side Kids (Ghost on the loose)

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Ce beau coffret nous permet de découvrir un Bela Lugosi tournant à la fois dans un classique du genre (White Zombie, de Victor Halperin) et dans deux nanars goûtus estampillés Monogram Pictures.

Débutons par le plus faible : The mysterious Mr.Wong (1934) de William Nigh (inconnu au bataillon mais qui a pourtant tourné une flopée de films à l’époque du muet), thriller situé à Chinatown. Bela Lugosi y incarne un des ces personnages maléfiques et nietzschéens qui tente d’obtenir la richesse et le pouvoir en tentant de réunir les douze pièces en or de Confucius. Un journaliste va tenter de s’opposer à ce plan.

L’intrigue est décousue à souhait, la mise en scène aussi plate qu’une pensée de rugbyman et l’amateur de curiosités cinématographiques contemplera avec une certaine stupéfaction le racisme décomplexé de l’ensemble (les chinois se ressemblent tous et sont d’une cruauté aussi caricaturale que celle jadis décrite par Hergé dans certains albums de Tintin).   

 

Plus sympathique est Voodoo Man (1944), réalisé par l’inénarrable William –one shot- Beaudine (surnommé ainsi parce qu’il avait la réputation de ne jamais refaire une prise, même si la première était ratée !). Contrairement à ce que dit Aurélien Ferenczi dans un numéro récent de Télérama, William Beaudine n’est pas un réalisateur totalement oublié. On a réédité il y a peu en DVD un étrange (et beau) mélodrame muet qu’il tourna avec Mary Pickford ( Sparrow) et certains des 200 films (!) qu’il réalisa méritent le détour (ne serait-ce que ses films burlesques avec WC.Fields ou les improbables produits hybrides mélangeant des genres opposés : Billy the Kid Vs. Dracula ; Jesse James meets Frankenstein’s daughter).

Dans Voodoo Man, Lugosi interprète un médecin tentant de redonner vie à son épouse décédée il y a plus de 20 ans en kidnappant des jeunes femmes qu’il transforme en zombies.

Les expériences qu’il mène donnent lieu à de savoureuses scènes de rites vaudous où l’acteur, affublé d’un costume trouvé chez dans un magasin de farces et attrapes voisin, se livre à un numéro de cabotinage éhonté fort drôle. Même si son jeu repose souvent sur les mêmes tiques (froncements de sourcils, yeux écarquillés ou, au contraire, plissés afin de donner une idée de sa cruauté), il parvient à donner une vraie puissance à ses interprétations et à parfois faire passer une émotion surprenante dans le cadre d’une production pourtant totalement fauchée et d’une délicieuse ringardise. Voodoo Man fait partie de ces séries Z qui se dégustent avec un vrai plaisir, d’autant plus que parmi les sbires du docteur, on reconnaît l’excellent John Carradine et son regard de fou.

 

De vaudou, il en est également question dans White zombie (1932) de Victor Halperin, considéré aujourd’hui comme l’un des premiers films de morts-vivants de l’histoire du cinéma.

Invité par un riche planteur local, un jeune couple se rend à Haïti. Mais leur hôte, Charles Beaumont, est furieusement amoureux de la jeune femme et décide d’utiliser la magie vaudou pour la soumettre à ses désirs. Il va donc trouver Legendre (Bela Lugosi, châtelain plus démoniaque que jamais avec sa barbiche à la Méphisto), grand prêtre capable de transformer les individus en morts-vivants…

Soyons honnête, le film de Victor Halperin souffre d’une mise en scène un poil trop théâtrale pour égaler la beauté vénéneuse de ce qui deviendra l’un des chefs-d’œuvre du genre : le Vaudou de Jacques Tourneur. Néanmoins, White zombie reste quand même un classique du genre. D’une part parce qu’il reste un film fondateur d’un des grands mythes du genre fantastique (le zombi). De l’autre, parce qu’il offre quelques séquences très belles, renvoyant à l’expressionnisme allemand (le château gothique et démesuré où se réfugie Beaumont et sa « fiancée » devenue une sorte de robot, le romantisme maladif d’une intrigue où les jeunes femmes jouent du piano dans des pièces froides et disproportionnées…).

Démiurge maléfique, Lugosi règne souverainement sur une petite communauté de morts-vivants transformés en esclaves et illustre une fois de plus le fantasme nietzschéen du « surhomme » capable de rivaliser avec Dieu.

 

Bien sûr, les moyens modestes de l’éditeur n’ont pas permis une restauration des copies présentées mais qu’importe : ce coffret Bela Lugosi : l’immortel constitue un très beau panorama de ce que fut la carrière d’un des acteurs les plus singuliers et les plus attachants de toute l’histoire du cinéma…

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[1] On raconte également que l’acteur dormait dans un cercueil…

 


 

 

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