Le grand amour (1969) de et avec Pierre Etaix et Annie Fratellini, Nicole Calfan

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En guise d’introduction, permettez-moi vous conter une petite anecdote personnelle sans le moindre intérêt (il me paraît plus honnête de vous prévenir d’avance !). Si j’ai à peu près tout oublié des bandes dessinées que j’ai lues dans mon enfance, j’ai toujours gardé en mémoire cette case où Gaston Lagaffe transforme son lit en voiture et propose à une mademoiselle Jeanne rougissante une balade. J’ignore si Franquin avait vu Le grand amour lorsqu’il imagina cette planche mais toujours est-il que la magnifique séquence onirique du film, où Pierre Etaix imagine les routes de France envahies par des lits roulants, était également la seule dont je me souvenais, peut-être en raison de cette réminiscence gastonienne.

Si ce passage est, de très loin, le plus réussi du film ; c’est qu’on y retrouve tout ce qu’on a aimé dans les trois premiers longs-métrages de Pierre Etaix : ce mélange d’humour et de poésie, ce sens de l’observation et du gag (en quelque sorte, il préfigure le Trafic de son « maître » Tati) et, surtout, une capacité à transcender le côté mécanique du rire pour aboutir à une espèce de surréalisme assez rare dans le cadre de la comédie. A ce moment, le rire permet d’excéder le réalisme, comme dans les fables d’Alphonse Allais ou de Cami, et d’aborder des rives beaucoup plus fantaisistes et oniriques.

Comme son titre l’indique, Le grand amour raconte une… banale histoire d’amour. Jean-Claude Carrière, encore une fois scénariste de Pierre Etaix, dit qu’ils ont sciemment choisi le récit le plus simple et le plus pauvre qui soit (un quadragénaire réalise soudain la monotonie de son quotidien à côté de son épouse et tombe en pamoison devant la beauté – et c’est peu dire que Nicole Calfan est belle dans le film !- de sa jeune secrétaire de 18 ans) afin de pouvoir greffer en toute quiétude des éléments comiques.

Le film débute par le mariage de Pierre et Florence (Annie Fratellini, madame Etaix à la ville) et une séquence fort drôle où le cinéaste croque avec beaucoup d’acuité les fidèles à l’Eglise. Ce goût pour les rituels collectifs (Cf. : le sketch se déroulant dans une salle de cinéma dans Tant qu’on a la santé) lui permet d’organiser des séquences chorégraphiées avec une incroyable minutie et faire naître les gags de détails infimes.

On pense alors assister à un nouveau film burlesque, misant davantage sur la construction visuelle des gags que sur les dialogues. Or il se trouve que Le grand amour est beaucoup plus « bavard » que les précédents opus du maître et que la parole y occupe plus de place. Du coup, le cinéaste glisse ça et là quelques pointes satiriques qu’on ne trouvait quasiment pas dans Le soupirant ou dans Yoyo. Il se moque ici de ces vieilles rombières, catholiques pratiquantes mais ne manquant jamais une occasion pour colporter des ragots et amplifier de fausses rumeurs. Par la simple grâce du « téléphone arabe », un simple salut de courtoisie dans un jardin public se change en une liaison adultère et un rendez-vous sulfureux entre deux amants !

Cette plus grande attention à la parole et aux dialogues prive, à mon sens, Le grand amour de la singularité qui faisait les réussites du Soupirant et de Yoyo. La mise en scène m’a semblé, même si elle réserve quelques moments éblouissants (Cf. la scène onirique citée au début-) un peu moins inventive et parfois un peu plus poussive.

Néanmoins, cette petite réserve avancée, le film se regarde avec grand plaisir et séduit par son élégance et cette touche unique qu’a toujours eu Pierre Etaix. On retrouve d’ailleurs ici un héros qui tombe amoureux d’une image et non pas d’une femme (Nicole Calfan incarnant parfaitement la Beauté, la Jeunesse et le Charme) et c’est dans cet interstice que va se loger l’humour du film (voir ce passage où il déclare sa flamme à sa vieille secrétaire en pensant s’adresser à son idole fantasmée) avant de réaliser qu’elle ne lui correspond pas. Dans Le grand amour, il y a d’ailleurs souvent des substitutions de visages (Pierre qui voit sa femme avec le visage de sa mère) et cette idée qu’on ne cesse de projeter sur l’Autre des images qui sont les nôtres et qui ne correspondent que rarement à la réalité. Par ce biais, et sans jamais s’appesantir, Pierre Etaix  dit des choses assez juste sur l’enlisement dans la routine, la peur de vieillir et le désir de toujours séduire.

Pour ces quelques petites touches mélancoliques et de très beaux passages comiques, Le grand amour mérite le détour…

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