Cœur bleu (1980) de Gérard Courant avec Gina Lola Benzina

Aditya (1980) de Gérard Courant avec Martine Elzingre

Illuminations (2008) de Gérard Courant

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Cette période de vacances me permet de rattraper (un peu) mon retard et de regarder les films que Gérard Courant m’a gentiment offerts (il ne m’en reste plus que neuf en attente !). C’est toujours avec beaucoup d’intérêt que je découvre ces œuvres hors normes qui m’ont fait songer, cette fois, aux propos que Jean-Luc Godard tenait aux étudiants du Fresnoy dans le film que lui a consacré le sournois Fleischer. Il reprochait à leurs dispositifs de n’être, finalement, que des « astuces techniques » et de ne plus renvoyer au « Réel ». Comme si le cinéma n’avait plus vocation de montrer ce qui n’avait jamais été montré (et qu’on ne peut pas voir en dehors du cinéma) mais d’illustrer des idées préexistantes.

J’ai pensé à ces propos car le cinéma de Courant, des « carnets filmés » aux « Cinématons » ne repose quasiment que sur des dispositifs. Mais ces dispositifs restent toujours ouverts au Réel, ils ne prennent leur sens que par cette réalité que le cinéaste filme comme si c’était la première fois (ou la dernière !).

Je passe assez rapidement sur Illuminations, carnet filmé qui reprend le même dispositif que Promenade dans les lieux de mon enfance dijonnaise analysé ici. Il s’agit, en effet, d’un nouveau plan-séquence d’une heure où le cinéaste déambule dans les rues de Dijon pour filmer les illuminations de Noël. Le film n’est cependant plus en négatif et la musique se réduit ici à une nappe sonore discrète qui ne masque pas le brouhaha de la ville. Outre l’intérêt qu’il y a de comparer deux œuvres quasiment « identiques » pour y déceler les similitudes (les rues dijonnaises) et les différences (le trajet effectué par Courant) ; le film témoigne aussi de cette dimension « archéologique » qui rend l’œuvre du cinéaste passionnante. Même si ce plan-séquence n’est pas en négatif, les habitants qui croisent parfois l’objectif de la caméra semblent être de vrais fantômes. De l’humanité, il ne reste qu’un vaste capharnaüm (le son est incroyablement assourdissant, amplifiant les bruits- voitures, bus, etc.- qu’un simple quidam dijonnais comme moi n’a plus l’habitude de remarquer) et des traces que Courant s’efforce d’enregistrer : rues, façades de cinéma, décorations…

Alors que le film se déroule au présent, il semble déjà être de la science-fiction et montrer un monde futur. Ou pour être plus juste, Illuminations apparaît déjà comme un « vieux » film que regarderont avec étonnement les générations futures.

 

Ce côté « science fiction », on le retrouve dans ces deux films datés de 1980 que sont Cœur bleu (dédié à Abel Gance) et Aditya (placé sous l’égide d’Artaud). Un carton nous annonce d’ailleurs au début de Cœur bleu que l’action se déroule « longtemps après la destruction du monde » tandis que les paysages dévastés d’Adytia donnent la même impression.

Ces deux films tournés en Super 8 peuvent se résumer de manière très basique : une femme, des paysages. Paysage ruraux dans Cœur bleu (les Pyrénées) ou friches urbaines dans Aditya et des visages que Courant filme comme des paysages (et vice-versa).

Il ne faut pas ensuite vouloir trouver des « scénarios » dans ces films impressionnistes qui cherchent avant tout à filmer le présent dans ce qu’il a de plus fugace (les reflets d’un cours d’eau, une lumière sur un visage…). Encore une fois, le cinéaste enregistre des « traces » dans un univers où toute vie humaine semble avoir disparu.

Cœur bleu joue beaucoup sur le rythme, les contrepoints (les panoramiques du début sur les paysages répondants au mouvement de rotation qu’effectue Gina Lola Benzina lorsqu’elle contemple ce paysage) et les rimes visuelles (le titre renvoie aux boucles d’oreilles portées par l’actrice qui deviennent tout un monde à l’instar des étendues d’eau ou du ciel). Ce qu’il y a de beau dans le film, pour reprendre l’idée de Godard, c’est que la simplicité du dispositif mis en place par Courant (le film a été tourné pour l’équivalent de 150 euros actuels et ouvre la perspective, bien avant l’arrivée des petites caméras, que tout le monde peut réaliser un long-métrage) n’empêche pas que les images tournées, baignant dans des musiques diverses (de Kraftwerk au Beau Danube bleu en passant par Leonard Cohen, Brigitte Bardot et Marilyn Monroe), semblent être vues pour la première fois. Que restera-t-il quand tout aura disparu ? Des traces de paysages et un visage offrant peut-être un espoir…

 

Même principe dans Aditya, film divisé en cinq parties. De la première (« la barbarie ») à la dernière (« l’harmonie »), il y a tout un trajet qu’effectue le cinéaste du paysage au visage. Dans un premier temps, il ausculte l’état catastrophique du monde en filmant des friches urbaines (maisons dévastées, carcasses de voitures rouillées…). Là encore, il fait œuvre « d’archéologue » en ce sens que ce film tourné « au présent » nous met dans la peau d’un spectateur le découvrant un siècle plus tard (c’est déjà visible dans les derniers films de Courant mais c’est encore plus flagrant dans ces films qui datent d’il y a 30 ans).

Nous y voyons un monde dévasté, où ne subsiste plus aucune trace de vie humaine. Reste alors les étapes (« la délivrance », « la raison » et « le voyage ») qui nous mènerons vers la femme (Martine Ezingre, qui a parfois de faux airs de Mireille Perrier) et son visage.

Lorsque Courant filme « l’harmonie », il n’a jamais été aussi proche des films « muets » de Garrel et cette symphonie de gros plans sur un visage, par le jeu du cadre, des éclairages, se révèle tout à fait fascinante.


Reste à espérer que ces films soient un jour distribués et montrés (Cœur bleu était sorti en salles – au Studio 43 de Païni, je suppose- et avait eu droit à une critique dans La saison cinématographique de 1982) afin qu’on saisisse tout l’intérêt de l’œuvre de Courant hors de son célèbre Cinématon

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