Hitchcock / Truffaut : édition définitive (1983) (Éditions Gallimard. 2009)

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De tous les livres consacrés au cinéma, Hitchcock/Truffaut est sans doute le plus mythique. La rencontre exceptionnelle entre deux créateurs hors-pair a accouché d'un livre d'entretiens qui reste encore aujourd'hui un modèle du genre.

Pour ma part, j'étais très impatient de découvrir enfin cet ouvrage tout en ayant quelques craintes. D'abord parce que je ne suis pas un grand fan des entretiens avec des personnalités du cinéma (réalisateurs, acteurs). Je trouve l'exercice souvent fastidieux et n'en ressortent généralement que des banalités ou des propos apologétiques qui ne vont pas bien loin. Ensuite, même si j'aime énormément le cinéma d'Hitchcock et que je connais bien ses grands classiques ; je ne suis pas, loin s'en faut, un expert de l’œuvre du maître. Je connais très peu la période anglaise et j'ai totalement oublié certains films vus une seule fois (Complot de famille, Les amants du Capricorne, Le grand alibi...). Je redoutais donc un peu l'écueil d'une analyse pointue allant se perdre dans le détail de chaque film.

 

Or il faut d'abord louer l'immense talent de Truffaut pour mener cette série d'entretiens. Je n'apprendrais rien à personne en répétant que l'auteur de Jules et Jim a d'abord été un critique redouté à Arts et aux Cahiers du cinéma et cela ne surprendra pas si je souligne qu'il connaît l’œuvre d'Hitchcock sur le bout des doigts et qu'il l'admire avec passion. Mais cette passion ne rime en aucun cas avec flagornerie et il est capable d'insister sur les défauts de certains films, d'avouer qu'il n'en aime pas certains (ou, à l'inverse, contredire le maître lorsque celui-ci se révèle trop sévère contre des films qu'il affectionne). Mais surtout, il parvient à être d'une clarté absolue (son art du résumé, par exemple, est absolument parfait et c'est la première fois que j'arrive à « visionner » des films sans les avoir vus, parce que les résumés ne sont ni trop succincts, ni noyés par trop de détails) tout en questionnant de manière très profonde l’œuvre du cinéaste.

Truffaut propose ici un art de la critique qui relève de l'équilibrisme en questionnant Hitchcock de manière extrêmement précise (sur des points de mise en scène, de mise en place de certaines séquences) tout en l'invitant à des considérations plus générales (sur le suspense, le poids de la culpabilité, la religion...) mais en ne le laissant pas trop s'éloigner de la ligne directrice qu'il a d'abord tracée.

 

Après avoir loué les talents de l'intervieweur, il faut maintenant se pencher sur l'interviewé et souligner la saveur des propos d'Hitchcock. On retrouve son sens de l'humour, son intelligence, son art du récit (le livre est truffé d'anecdotes délicieuses, d'histoires drôles absurdes...). On découvre peu à peu toutes les facettes d'un créateur de génie, ne laissant rien au hasard et soulignant avec justesse la primauté de la mise en scène sur le « scénario » :

 

« Dans un film de genre, c'est la caméra qui fait tout le travail. Bien entendu, vous n'obtenez pas nécessairement les meilleures critiques car les critiques ne s'intéressent qu'au scénario. Il faut dessiner votre film comme Shakespeare bâtissait ses pièces, pour le public. »

 

L'auteur de Psycho et de Vertigo revient précisément sur chacun de ses films (ou presque : on jette parfois un voile pudique sur les œuvres ratées, notamment certaines de la période anglaise) sans pour autant se perdre dans les détails insignifiants. Comme dans ses films, on va à l'essentiel et c'est à la fois passionnant et profond.

 

Il est amusant de constater également à quel point ce livre contient en fait toutes ces phrases mythiques qui continuent d'alimenter la mémoire de la cinéphilie. C'est ici qu'Hitchcock donne sa définition du « MacGuffin » ou explique que plus le méchant est réussi, meilleur le film est. C'est également lors de cette série d'entretiens que Truffaut lancera sa fameuse sortie sur le cinéma anglais qu'on a eu tort, à mon avis, de prendre au pied de la lettre et qui apparaît beaucoup moins « violente » dans le contexte de cette discussion (j'ai l'impression que l'auteur a l'image d'un peuple anglais aristocrate, davantage féru de littérature et de théâtre que cet art « populaire » qu'était alors le cinéma. D'où cette « incompatibilité entre le mot cinéma et le mot Angleterre »).

On trouvera également une définition parfaite du suspense et ce qui le distingue de la « surprise » ou encore de belles réflexions sur le voyeurisme, la culpabilité, la nécrophilie (Vertigo, bien sûr) et l'élaboration de cette œuvre étonnante que reste Psycho.

 

Ce qu'il y a de plus touchant dans cette rencontre, c'est que Truffaut conserve sa culture de critique et sa passion dans le cinéma mais qu'il est déjà lui-même réalisateur lorsqu'il entreprend cet ouvrage. Du coup, il parle le même langage qu'Hitchcock (en terme de conduite de récit, de placement de la caméra...) et le maître noue avec lui une sorte de rapport de filiation assez étonnant. Tout se passe comme s'il livrait enfin les secrets de son art à ce « collègue » beaucoup plus jeune et qui sut, avant tout le monde, voir dans ses films autre chose que de simples « divertissements à suspense ».

 

Les liens secrets qui se nouent entre les deux cinéastes ne sont pas pour rien dans le charme immense de ce livre aussi magnifique qu'indispensable...

 

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