L'étrangleur de Boston (1968) de Richard Fleischer avec Tony Curtis, Henry Fonda (Editions Carlotta film) Sortie le 17 avril 2013

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Tout juste quelques années après l'arrestation d'Albert De Salvo, le véritable « étrangleur de Boston », Richard Fleischer s'inspire d'un livre signé Gerald Frank pour porter à l'écran ce fait divers qui défraya la chronique au début des années 60 (un tueur en série qui étrangla 14 femmes).

Si j'écrivais il y a peu à propos des Inconnus dans la ville que je trouvais le style de Fleischer un peu raide, je dois admettre qu'avec L'étrangleur de Boston, il a trouvé une parfaite adéquation entre le fond et une forme incroyablement inventive.

Même si certains de ses films sont marqués par un imaginaire enfantin (20000 lieues sous les mers, Le voyage fantastique), les meilleurs sont sans doute ceux où transparaissent une vision finalement très noire de notre monde et de l'être humain (songeons par exemple à Soleil vert).

 

L'étrangleur de Boston est un film qui se scinde en son milieu. Dans un premier temps, Richard Fleischer filme la traque policière du tueur en privilégiant une approche froide, quasi-documentaire de l'enquête. L'originalité de sa mise en scène repose sur l'utilisation systématique du « split screen » : l'écran est divisé en deux, parfois même en beaucoup plus afin d'offrir au regard du spectateur une multitude de points de vue (tueur qu'on ne voit pas, victimes, flics...). Si on craint au départ un tic formel un peu gratuit et répétitif, on réalise vite que ce procédé s'accorde parfaitement au propos du film et que le cinéaste l'utilise de manière admirable. D'une part, pour suggérer une sorte d'angoisse diffuse et de panique qui se généralise dans la ville (comme les habitants de Boston, le spectateur ne voit pas le tueur et il acquiert une sorte d’omniscience que rend parfaitement l'éclatement des écrans). D'autre part, pour montrer sous tous les angles le dispositif tentaculaire mis en place par la police et la volonté du procureur Bottomly (incarné par le grand Henry Fonda) d'aller au bout de ces recherches.

L'éclatement de l'enquête permet à Fleischer d'aller fouiller dans les recoins les plus sombres de l'âme humaine en offrant au spectateur un panorama peu reluisant de toutes les perversions imaginables. Si on se souvient très bien de l'honorable banquier qui jouait les voyeurs dans Les inconnus dans la ville, on se trouve confronté ici à toute sorte individus louches : les amateurs de strangulation, ceux qui suivent les femmes dans la rue ou les harcèlent au téléphone, les fétichistes en tout genre (voir celui qui, muni d'une lampe torche, s'extasie devant les pieds de sa voisine dans un cinéma) mais aussi les manipulateurs qui s'introduisent chez les femmes en se faisant passer pour ce qu'il ne sont pas.

Même si les mots sont parfois durs (« maniaques », « pervers », « fous »...), Fleischer se contente de poser un regard clinique sur cette humanité à la dérive. Il ne cherche pas à juger ces individus dans la mesure où leur multiplicité révèle bien de quelles zones d'ombre est constituée l'âme humaine. Sur la fin du film, Bottomly avouera même ne pas se reconnaître parfois et s'être laissé gagner à une véritable fascination pour ce criminel hors du commun.

 

Une fois le tueur arrêté, le cinéaste se concentre désormais sur l'instruction judiciaire mais surtout sur une formidable enquête psychologique et clinique autour de la personnalité de l'étrangleur, interprété à la perfection par un Tony Curtis à l'opposé de ses rôles comiques. Toute l’ambiguïté de l'affaire tient à la double personnalité de De Salvo, bon époux et père de famille honorable succombant soudainement à des pulsions meurtrières. Plus le film avance, plus Fleischer tente de s'approcher du point de vue d'un cerveau malade. Ce que le dispositif des écrans multiples pouvaient suggérer quant à la personnalité « éclatée » du tueur disparaît au profit d'une mise en scène de plus en plus épurée. Les longs plans-séquences sont uniquement troublés par des flashs percutants ou des dé-cadrages insolites (superbe utilisation des miroirs) qui traduisent parfaitement la schizophrénie du personnage.

Lorsque arrive le dernier plan (on peut le décrire dans la mesure où le cinéaste ne cherche jamais à créer un suspense ou provoquer la surprise), De Salvo se retrouve dans un environnement totalement neutre (murs blancs, habits blancs) et la caméra se contente de le suivre en gros plan. Ce décor abstrait fait basculer le film dans une autre dimension : l'interlocuteur de l'étrangleur disparaît et il ne reste plus à l'homme qu'à poursuivre un long monologue qui lui fait prendre conscience de sa folie.

Cet étonnant finale laisse le spectateur dans la tête de De Salvo. Tout à disparu : il ne reste plus qu'un homme seul et sa démence...

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