La nuit des horloges (2007) de Jean Rollin avec Ovidie, Jean-Loup Philippe, Simone Rollin, Dominique, Maurice Lemaître

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La nuit des horloges ne fut pas le dernier film de Jean Rollin puisque le cinéaste put signer un Masque de la méduse en 2010 que nous rêvons de découvrir. Pourtant, ce film a déjà des allures de testament et il a d’ailleurs été tourné au moment où sortaient également les indispensables mémoires du cinéaste[1].

Isabelle (incarnée par la star du X français Ovidie) hérite de la maison de campagne de Michel Jean, un cousin qu’elle n’a vu qu’une fois et qui était cinéaste. Elle se rend sur sa tombe au Père Lachaise et se laisse peu à peu hanter par les créatures issues de l’imaginaire du défunt…

La nuit des horloges est à l’œuvre de Rollin ce que Les plages d’Agnès est à celle de Varda : une manière de faire un bilan sur sa pratique de cinéaste et de revenir sur le passé en n’hésitant pas à insérer des extraits de ses films anciens (du Viol du vampire à La morte-vivante en passant par ces joyaux méconnus que sont La rose de fer ou Les démoniaques).

Les acteurs d’autrefois reviennent d’ailleurs faire un petit tour ici : Dominique se souvient de son rôle de vampire dans Le frisson des vampires tandis que Jean-Loup Philippe évoque le film disparu L’itinéraire marin qui fut vraiment la première réalisation de Rollin où jouait Gaston Modot (le héros de L’âge d’or de Buñuel) et dont le scénario et les dialogues étaient signés…Marguerite Duras !

Les traditionnels détracteurs du cinéaste ne manqueront pas de faire remarquer la pauvreté des moyens mis en œuvre ici, le côté un poil décousu du récit et l’interprétation parfois approximative de certains comédiens (Ovidie ne s’en tire pas si mal). Pourtant, ce film émouvant prouve à mon sens l’extrême cohérence de l’œuvre de Rollin et offre le plaisir de visiter une fois de plus son musée imaginaire.

Le cinéaste ne fut jamais un quelconque tâcheron opportuniste qui aurait opté pour un fantastique fortement teinté d’érotisme pour racoler le chaland (même s’il tourna des films « alimentaires »). C’est un vrai amoureux du bizarre, du fantastique, du surréalisme et de la littérature populaire. Son œuvre séduit souvent par la beauté de ses « visions » et la manière dont elle cultive l’étrange. Dans La nuit des horloges, Isabelle lit à côté de la tombe de Raymond Roussel un exemplaire de la mythique revue Bizarre consacrée à l’auteur de Locus Solus. Les fantômes convoqués ne sont pas uniquement ceux des films précédents mais également ceux des individus que Rollin a pu côtoyer dans sa jeunesse : Eric Losfeld, Ado Kyrou, Maurice Joyeux, Jean Boullet… Eux aussi ont eu une influence décisive sur son univers, au même titre que des peintres comme Ernst, Magritte (les quilles sur la plage du Viol du vampire) ou Molinier (il me semble, sauf erreur, qu’on en voit une reproduction dans La nuit des horloges).

Les créatures qui hantent Isabelle permettent de mettre à nu les obsessions de Rollin : les cimetières, les voies ferrés désaffectées ne menant plus nulle part, les châteaux, les jeunes filles en chemise de nuit blanche se baladant dans des parcs la nuit ou entre des tombes, les vampires jaillissant nus des horloges lorsque sonne minuit, les objets insolites (cette fameuse « rose de fer » que retrouve Isabelle)…

Il y a quelque chose de très émouvant à voir convoquer ici tout ce bric-à-brac fantastico-surréaliste dans la mesure où Rollin ne prend même plus la peine de construire une histoire et se met en scène comme le dernier des mohicans. Tout se passe comme si le temps de ces images belles comme « la rencontre fortuite d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection » était définitivement révolu.

Finies les images de ces jeunes filles aveugles se promenant dans les cimetières avant de se faire attaquer par deux orphelines vampires ou les serments scellés dans le sang : ne restent plus quelques voix surgies du passé et des créatures étrangement seules, en quête d’auteur.

Jean Rollin nous a malheureusement quitté mais ne doutons pas que les ricanements qui accueillirent ses films finiront par se tarir tandis que ses images, qui reviennent de manière fulgurante dans La nuit des horloges, n’ont pas fini de nous hanter…  



[1] MoteurCoupez ! Mémoires d’un cinéaste singulier chez Edite (2008)

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