L'Eve nouvelle
Le soir, Lilith (2014) de Philippe Pratx (Editions L'Harmattan. 2014)
Le soir, Lilith n'est pas un roman mais un puzzle. Méticuleusement, l'auteur assemble chaque pièce pour découvrir le visage d'une femme, Lilith, star hollywoodienne d'origine hongroise retrouvée morte le 23 novembre 1924. L'intelligence de Philippe Pratx, c'est de ne pas chercher à restituer un portrait figé et « parfait » mais de laisser des pièces manquantes, des zones d'ombre, des fragments qui ne s’emboîtent pas vraiment... Parce que Lilith n'est peut-être, au fond, qu'une image. Un peu femme, un peu sorcière, un peu chimère et la projection fantasmée de tous ceux qui l'ont approchée.
L'ouvrage est composé essentiellement de fragments disparates : extraits du journal intime de Lilith, brouillon d'une tentative de biographie du narrateur, coupures de presse, correspondance, extraits des scénarios des films tournés par la comédienne, etc. Seul fil directeur : la rencontre entre le narrateur qui a connu Lilith et qui fut son amant et une femme qui enquête sur la disparition de la star.
Si la quatrième de couverture nous promet une enquête de « roman noir », il est évident que l'intrigue n'intéresse que très peu l'auteur qui préfère se concentrer sur une atmosphère cotonneuse (celle des souvenirs et des sunlights hollywoodiens) et sur le portrait d'une femme qui ne cesse de se dérober. C'est pour cette atmosphère et ces références cinématographiques que ce livre trouve sa place sur ce blog.
Si la filmographie de cette Lilith est totalement imaginaire, on apprend qu'elle a tourné avec Michael Curtiz quand il s’appelait encore Mihàly Kertész (film disparu), dans Les cavernes blanches de Tod Browning (film qui, bien entendu, n'existe pas) et qu'elle fut la muse d'un certain Simpson Omarsian avec qui elle tourna de nombreux longs-métrages. Outre cette carrière où l'on croise également les fantômes des « artistes associés » (Pickford, Griffith, Chaplin et Fairbanks) ; l'auteur se plaît à recréer une atmosphère digne de Sunset boulevard de Wilder en replongeant dans une période mythique d'Hollywood. Mais les références sont également plus contemporaines et on songe parfois à Mulholland Drive (l'avenue est d'ailleurs citée) dans la mesure où cette Lilith semble parfois n'être qu'un pur fantasme, la somme des rôles qu'elle a incarnés (y compris celui d'Erzsebeth Bathory).
Pour être tout à fait honnête, le livre n'est pas toujours d'un abord facile. Disons qu'il esquive habilement les plaisirs de la narration pour privilégier un récit fragmentaire. Pour faire une comparaison picturale, ce roman ressemble davantage à une toile cubiste qu'à un tableau « narratif » et il s'avère que l'exploration de chaque facette est parfois un peu ardue. Par ailleurs, Philippe Pratx a un style soutenu et rocailleux où se mêlent des réminiscences de la littérature « fin de siècle » (Villiers de l'Isle-Adam), du symbolisme (des références au Paulina 1880 de Pierre Jean Jouve) voire du surréalisme et assimilé (Artaud).
Le soir, Lilith séduit davantage « intellectuellement » que de manière sensorielle. On s'intéresse aux thèmes développés (l'image et l'illusion, les multiples visages de la Femme, les rapports du Créateur à sa créature, la psychanalyse et les abîmes que recèlent chaque individu...) mais il manque peut-être une dimension véritablement romanesque qui emporterait totalement l'adhésion.
A cette réserve près, ce livre mérite le coup d’œil et témoigne d'une écriture singulière dont on espère avoir des nouvelles bientôt...