L'homme que vous aimerez haïr...
Coffret Erich Von Stroheim mystérieux (Editions Artus Films)
-The lady and the monster (1944) de George Sherman
-The mask of Diijon (1946) de Lew Landers
-The great Gabbo (1929) de James Cruze
-The crime of doctor Crespi (1935) de John H.Auer
Inutile de présenter ici le grand cinéaste que fut Erich Von Stroheim. Même si ses démêlées avec la censure sont aujourd'hui plus célèbres que ses films (pourtant magnifiques, que ce soit Les rapaces, Folies de femmes ou La veuve joyeuse), son œuvre reste l'un des monuments incontournables du septième art.
On sait que Stroheim fut également acteur et le cinéphile se souvient forcément de son interprétation dans La grande illusion de Renoir ou de son rôle fort émouvant dans Boulevard du crépuscule de Wilder. Mais à côté de ces grands rôles (même lorsqu'ils sont « secondaires »), Erich Von Stroheim tourna une quantité de film en tant que comédien et s'aventura même du côté du cinéma bis voire Z. C'est d'ailleurs à travers tous ces rôles qu'il a peaufiné cette image d'homme que le spectateur aimait haïr. A chaque fois, il semble éprouver une grande jubilation à entrer dans la peau de personnages ignobles, de criminels totalement fous ou de dangereux scélérats.
Soyons honnêtes, les quatre films exhumés par les bons soins de la maison Artus ne valent, généralement, que pour la performance d'Erich Von Stroheim. Qu'il cabotine au maximum ou qu'il impose une présence inquiétante par la grâce d'un simple froncement de sourcils, le comédien est toujours génial. Mais ce n'est pas toujours le cas des films. Détaillons.
Dans The great Gabbo, Erich Von Stroheim incarne un ventriloque qui ne fait pas un mouvement sans Otto, sa marionnette en bois. Il va se servir de son « pouvoir » pour tenter de reconquérir la fille qu'il a chassé sans ménagement deux ans auparavant. Je ne connais pas le cinéaste James Cruze mais force est de constater que son film a très, très mal vieilli. Si Stroheim est assez impérial dans ce rôle, la mise en scène est d'une rare platitude et souffre surtout d'une bande-son rudimentaire qui provoque sans arrêt la sensation que rien n'existe autour des personnages (on entend le silence du studio). Cette incapacité à créer, sans même parler de hors-champ, un environnement sonore capable de donner une certaine cohérence au film est assez sidérante. Le film regorge par ailleurs de numéros musicaux insipides et interminables. Cruze les filme encore d'une manière totalement plate et se contente d'un unique plan de coupe (toujours le même) sur des spectateurs dans une salle de spectacle pour nous faire croire à une représentation « live ». Le film est d'un ennui total.
Dans le même style, The crime of doctor Crespi souffre également d'une bande-son souffreteuse. Du coup, n'existent à l'écran que les dialogues entre les personnages et on a souvent le sentiment de voir un simple enregistrement d'une pièce de théâtre mis en scène dans un décor minimaliste. Mais si le film de John H. Auer (inconnu au bataillon même si son film Les diables de l'Oklahoma semble être sorti en France) suscite un petit intérêt, c'est d'abord parce qu'il est beaucoup plus court (à peine une heure, ce qui ne laisse pas trop le temps de s'ennuyer) ; ensuite parce qu'il est une adaptation de L'enterré vivant d'Edgar Poe. La trame narrative est donc suffisamment forte pour nous intriguer un peu même si la réalisation est d'une assez effrayante médiocrité (à côté, l'adaptation du même conte par Roger Corman est un chef-d’œuvre!). Certaines scènes sont tellement mal éclairées qu'on se retrouve quasiment face à un écran noir. Ça pourrait être conceptuel mais c'est seulement raté.
Dans The lady and the monster, Von Stroheim incarne un savant fou bien décidé à trouver un moyen de prolonger la vie du cerveau humain afin de ne rien perdre du génie des personnes décédées. Réalisé par un spécialiste du western (George Sherman, co-réalisateur du Big Jake de John Wayne), ce film s'inscrit dans un premier temps dans la lignée du cinéma fantastique et de sa mythologie du savant démiurge capable de défier Dieu et les lois de la nature. Si Sherman s'était contenté de ces sentiers, nous aurions été comblés. Mais il va greffer sur le genre une intrigue de film noir (le cerveau que Stroheim maintient en vie et qui va « dicter » sa volonté à un malheureux cobaye est celui d'un ancien milliardaire mis en cause dans une sordide histoire de meurtre) qui s'avère aussi confuse que fastidieuse.
Finalement, le film le plus intéressant, bien que réalisé par un obscur tâcheron (Lew Landers, que les bisseux connaissent fort bien puisqu'il a signé un The Raven ayant une bonne réputation -avec Boris Karloff et Bela Lugosi- et qu'il fut un stakhanoviste s'illustrant dans tous les genres), fut sans aucun doute The mask of Diijon. Diijon est un magicien qui tente de maîtriser tous les aspects de l'hypnose. Odieux, violent et méchant avec sa jeune épouse, c'est un personnage hautement détestable et qui ne trouve plus d'emploi. Il va alors se servir du pouvoir qu'il finit par maîtriser pour mettre en branle un plan diabolique...
Là encore, on ne peut pas dire que la mise en scène soit très aboutie. Il faut voir la dernière fusillade entre les forces de l'ordre et Diijon pour réaliser à quel point Landers a violé le commandement de Bazin sur le « montage interdit » (jamais on a la sensation que les deux camps sont l'un en face de l'autre). Le montage est tellement mal fichu (les flics tirent sur une vitre qui ne se brise jamais) que l'effet de tension tombe totalement à l'eau.
Mais paradoxalement, cette petite Z rutilante se révèle assez palpitante et quelques cadrages expressionnistes font leur petit effet. Et Stroheim est absolument ignoble et génial en hypnotiseur cabotin (on se demande si son personnage n'a pas inspiré un peu Woody Allen pour Le sortilège du scorpion de Jade).
Mais au-delà de ces œuvres, je le répète, il y a un personnage hors du commun, capable de frapper les femmes ou de les humilier publiquement avec une rare violence (verbale). Un comédien capable de montrer tout ce que l'humain peut avoir de sombre en lui. Un monstre à visage humain, en quelque sorte...