L'horrible docteur Orlof(f)
Le tueur aveugle (1939) de Walter Summers avec Bela Lugosi, Hugh Williams (Editions Artus Films)
Avant de débuter cette chronique, il convient de vous révéler que ce film fut, pour moi, une véritable découverte généalogique. Lorsque je décidai, il y a maintenant de nombreuses années (douce période d’insouciance et de bas débit !), d’endosser le patronyme d’ « Orlof », il s’agissait pour moi de rendre hommage à Howard Vernon et au personnage mythique qu’il incarna chez Jess Franco.
Confessons-le humblement : j’ignorais alors tout de ce film de l’obscur Walter Summers où l’immense Bela Lugosi interprète le rôle du directeur d’un institut pour aveugles sous le nom de « docteur Orloff ». C’est donc avec une grande émotion que j’ai retrouvé mon grand-père et constaté qu’il s’agissait, ô bonheur, de l’homme qui prêta ses traits à Dracula !
Malgré ses apparences plus que respectables, le Docteur Orloff intéresse un inspecteur de Scotland Yard dans la mesure où un certain nombre de personnes ayant souscrit une assurance-vie chez lui sont retrouvées mortes dans de mystérieuses circonstances…
Nous ne déflorerons pas plus l’intrigue de cette série B extrêmement plaisante et rondement menée. Le tueur aveugle (The Dark Eyes of London) est une adaptation d’un roman d’Edgar Wallace, écrivain anglais qui connut un immense succès au début du 20e siècle et qui ne reste dans les mémoires que comme scénariste de King-Kong alors qu’Alain Petit souligne dans le bonus (passionnant, comme toujours avec cet érudit du cinéma bis) que l’écrivain n’y a sans doute pas collaboré.
Contrairement à certaines séries B parfois un peu poussives et ne brillant que par intermittence, Le tueur aveugle bénéficie d’une mise en scène alerte et d’un rythme soutenu qui ne faiblit jamais (un montage habile imprime le tempo nécessaire pour capter sans arrêt l’attention du spectateur). Walter Summers mêle habilement les codes du film noir (une enquête policière menée tambour battant) et ceux de l’épouvante gothique. Le tueur aveugle joue sur les décors embrumés de Londres et des bords de la Tamise pour créer une atmosphère mystérieuse et inquiétante. On s’attend à voir surgir des vampires, des loups-garous ou Jack l’éventreur mais c’est un « savant fou » qui va occuper le devant de la scène.
Inutile de préciser que Bela Lugosi est absolument génial dans le rôle du docteur Orloff. Bien sûr, il cabotine parfois en jouant de son froncement de sourcils mythique mais, la plupart du temps, il se contente d’ « être là » et d’imposer sa présence fascinante.
Le réalisateur n’oublie pas non plus de saupoudrer son récit d’humour, notamment grâce à ce personnage d’inspecteur américain qui débarque en Angleterre pour observer les méthodes de ses collègues britanniques (et s’étonner que personne ne possède de revolvers !). Là encore, Alain Petit note que ce personnage n’existe pas dans le roman originel et qu’il a été ajouté pour le public américain.
Ce qui passionne dans Le tueur aveugle, c’est de voir comment Jess Franco, grand admirateur de ce film, se l’est approprié. L’horrible docteur Orlof (avec un seul f) n’est pas, à proprement parler, un remake (il se rapproche davantage des Yeux sans visage de Franju) mais, outre le patronyme du personnage principal, il conserve quelques éléments du film de Summers.
Ainsi, comme dans Le tueur aveugle (je le révèle car on le sait très tôt), c’est le fidèle serviteur aveugle d’Orlof(f) (Jake ici, Morpho chez Franco) qui exécute les basses œuvres de son maître. Et la fin, que je ne dévoilerai pas, s’avère aussi assez similaire.
Encore une fois, il convient de saluer le travail éditorial des éditions Artus qui nous permet de redécouvrir aujourd’hui ces petites perles bien oubliées jusqu’alors…