L'invasion vient de Mars
Coffret Destination Mars (Editions Artus Films)
Invaders from Mars (Les envahisseurs de la planète rouge) (1953) de William Cameron Menzies
Rocketship XM (24h chez les martiens) (1950) de Kurt Neumann
Flight to Mars (1951) de Lesley Selander
Red planet mars (1952) de Harry Horner
Cela faisait longtemps que nous n'avions pas loué l'excellente maison Artus qui nous propose depuis quelques temps de beaux coffrets (nous évoquerons le plus rapidement possible celui consacré aux films de dinosaures) regroupant des perles rares du cinéma bis. Aujourd'hui, je vous propose un petit séjour sur Mars.
Les quatre films proposés par le petit éditeur courageux reflètent à merveille un certain état d'esprit de la science-fiction américaine des années 50. Tournés entre 1950 et 1953, c'est à dire en pleine période maccarthyste, ces œuvres sont toutes imprégnées, d'une manière ou d'une autre, de cette paranoïa américaine qui sévissait à l'époque. Et qu'imaginer de plus pratique que la petite planète rouge pour personnifier le péril communiste, la menace nucléaire et la volonté de repli sur soi du bloc occidental?
En détournant un slogan devenu tristement célèbre, nous dirons que ces œuvres vont se plier à l’injonction suivante : « La terre, soit tu l'aimes (et tu la défends par la force), soit tu la quittes (pour aller sympathiser avec les rouges » !
Version belliciste, nous aurons Invaders from Mars de William Cameron Menzies. Les hommes rouges débarquent une belle nuit sur terre sous le regard d'un enfant et se mettent à enlever des terriens. Ils leur lavent le cerveau et les transforment en êtres cruels, violents et totalement soumis à leurs nouveaux chefs (une nouvelle vision du bolchevique avec le couteau entre les dents!). A partir de là, le film va être une véritable apologie de la force de frappe américaine et de sa puissance de dissuasion. Si l'idéologie rétrograde de l’œuvre fait sourire aujourd'hui, ses qualités cinématographiques laissent le spectateur un peu sur sa faim.
William Cameron Menzies n'est pas un nom inconnu des cinéphiles et quelqu'un comme Pierre Berthomieu a tenté une véritable réhabilitation de celui qui fut décorateur sur de grands classiques du cinéma hollywoodien (Autant en emporte le vent, Duel au soleil...). Pour le critique, c'est grâce aux directions artistiques de Menzies qu'un certain courant « expressionniste » américain a pu connaître une sorte d'apogée.
Cependant, il paraît difficile de le réhabiliter en tant que cinéaste de séries B. Pourtant, le film débute plutôt bien et les vingt premières minutes sont assez prenantes. On apprécie même une très belle séquence dans un commissariat où les décors stylisés couplés à des angles de prises de vue privilégiant la profondeur de champ parviennent à créer une ambiance assez réussie. Malheureusement, le film devient ensuite vite bavard et ternit sous les coups de boutoirs de son idéologie rance.
Seule la fin nous tire d'une agréable somnolence lorsque apparaissent enfin à l'écran les créatures de l'espace. Les effets spéciaux antédiluviens donnant alors à l’œuvre une patine mi-naïve, mi-kitsch pas méprisable.
Dans Rocketship XM, nos héros quittent cette fois notre belle planète pour aller... sur la lune! Mais un incident se produit en route et les voilà détournés vers Mars. Aux commandes de cette petite fantaisie SF, Kurt Neumann que les cinéphiles connaissent pour avoir réalisé La mouche noire, première version du chef-d’œuvre de Cronenberg.
Idéologiquement, notre homme est beaucoup plus sympathique et joue moins sur la peur du Rouge que sur une crainte plus légitime des avancées scientifiques incontrôlées. Pour le dire autrement, le cinéaste met en garde le spectateur contre la menace nucléaire. Sur Mars, notre équipage rencontrera effectivement une civilisation revenue à la barbarie suite à un cataclysme atomique. En cette période de Guerre Froide, la course aux armements est clairement montrée comme une cause possible de la fin du monde.
Si le propos n'est pas idiot, le film souffre là encore d'incessants bavardages qui le firent qualifier par Jean-Pierre Bouyxou (La science-fiction au cinéma) de « totale nullité ». Même si on s'ennuie un peu, ce jugement paraît un poil sévère d'autant plus qu'une fin très pessimiste surprend dans le cadre assez stéréotypé de ce genre.
Le bavardage est sans doute l'un des pires défauts d'une SF qui veut se donner de pseudos-assises scientifiques. Du coup, alors qu'on se ballade volontiers sur Mars avec un blouson en cuir et un minuscule masque à gaz, les scénaristes se croient obliger de nous infliger de longues digressions sur de pseudos théories scientifiques ou nous abreuver de démonstrations plus ou moins fumeuses.
Flight to Mars n'échappe pas à la règle et de ce voyage vers la planète rouge (les martiens ne sont pas désagréables mais sournois : méfiance, donc!), on ne retient que les tenues affriolantes des jolies autochtones (Les minis minijupes du film annonçant celles de la divine Anne Francis dans Forbidden planet). Que dire de plus sinon que le film est signé Lesley Selander, spécialiste du western de série B dont l'excellent Jean-Pierre Putters écrit dans Ze Craignos Monster (tome 1) : « Cinéaste d'une grande humilité, Lesley Selander signe une humble carrière et laissera un humble souvenir. Juste logique des choses ». Je ne vois, effectivement, rien à ajouter.
Si les terriens osent aller vers l'Autre dans Rocketship XM et Flight to Mars, ceux de Red Planet Mars de Harry Horner (illustre inconnu) restent chez eux. Mais alors que les trois films précédents traitaient des peurs américaines sur un mode métaphorique, il n'est ici presque plus question de science-fiction mais de traité de géopolitique. En effet, des martiens nous ne verrons que de vagues signaux sur un écran. Un scientifique parvient à les intercepter alors que les russes cherchent également à le faire. Dans un premier temps, ces messages provoquent une catastrophe car ils inoculent une idéologie qui ne semble pas très éloignée du communisme (l'annonce d'une possibilité de vivre 3000 ans fait faire faillite aux assureurs tandis que la possibilité de manger pour trois fois rien créée une véritable crise économique). Tout rentrera dans l'ordre lorsque les messages nettoieront les consciences en transmettant des mots... tirés de la Bible !
C'est donc avec une certaine stupéfaction amusée qu'on regarde ce film de propagande farouchement anti-cocos (c'est un ancien criminel nazi qui travaille à leurs côtés) et qui célèbre avec ferveur le message de Dieu.
Horner nous gratifie de scènes quasi-surréalistes où la foule ébahie se convertit soudainement à la foi et fait régner la paix sur terre (en se débarrassant, à l'occasion, du virus communiste). Ça en devient presque drôle et l'on recommanderait volontiers le film si, par ailleurs, il n'était pas aussi ennuyeux (encore beaucoup de bavardages pseudos-scientifiques) et plat (les décors flashy de Flight to Mars étaient beaucoup plus récréatifs que ce noir et blanc terne).
En revanche, on recommande malgré les défauts des films ce coffret, ne serait-ce que parce qu'il recèle de véritables curiosités et parce qu'il permet de réaliser à quel point la Guerre Froide et la peur du communisme ont irrigué en profondeur tout un pan du cinéma de SF yankee...