L'oreille voit
Le chat à neuf queues (1971) de Dario Argento avec James Franciscus, Karl Malden, Catherine Spaak
Deuxième long-métrage de Dario Argento, Le chat à neuf queues est un giallo dont l’intrigue tourne autour d’un institut médical et de découvertes génétiques autour du fameux « chromosome criminel » (le syndrome XYY). L’une des originalités de cette enquête criminelle où tous les témoins gênants sont éliminés l’un après l’autre est qu’elle est menée à la fois par un journaliste (c’est assez classique) et par…un vieil homme aveugle.
On passera rapidement sur les invraisemblances de la narration et la résolution toujours un poil décevante de l’intrigue (décidément pas le point fort d’Argento) pour louer une fois de plus la capacité du cinéaste à s’emparer d’un genre et à lui insuffler du sang neuf.
Malgré ses qualités, Le chat à neuf queues déçoit un petit peu après L’oiseau au plumage de cristal : la mise en scène d’Argento, moins graphique, s’avère un peu plus conventionnelle à quelques rares séquences près (l’épisode au cimetière où les deux enquêteurs ouvrent une tombe pour trouver un indice, la course-poursuite finale sur les toits…). Et l’efficacité de certains passages ne fait pas toujours oublier que le film est un poil trop long (il aurait gagné à ne durer que la traditionnelle heure et demie, soit vingt minutes de moins).
Séduisent davantage les personnages embarqués dans cette intrigue, notamment ce « couple » singulier que constituent la petite fille et son oncle aveugle (Argento affectionne particulièrement ce type de personnages et l’on se souvient encore de cette scène terrible de Suspiria où un chien attaque soudainement son maître aveugle). Il est d’ailleurs intéressant de noter que le film est construit une fois de plus sur une « image aveugle », une image préexistante qu’il faudra décrypter et dépasser. Dans L’oiseau au plumage de cristal, le héros est témoin d’une tentative de meurtre mais il lui faudra tout le film pour revenir sur cette image originelle et lui faire accoucher de sa vérité.
Dans Le chat à neuf queues, le héros aveugle est le témoin d’une conversation suspecte qui va devenir le fil directeur de l’enquête. Cette fois, il n’a pas pu voir la scène originelle mais il l’a entendue. Si l’on considère L’oiseau au plumage de cristal comme une relecture « policière » du Blow up d’Antonioni; Le chat à neuf queues pourrait être une sorte de prémisses au Blow out de De Palma. C’est à travers le son que se révèle une certaine vérité que l’image peut toujours masquer (voir la photographie « choc » de l’homme poussé sous un train). Là encore, Argento témoigne à sa manière qu’il arrive « après », que son cinéma ne pourra exister qu’en dépassant des images originelles dont il lui faudra se débarrasser. Malheureusement, il ne déploie pas ici son génie visuel et se contente d’un polar solide et nerveux où les expérimentations formelles restent assez rares (l’insert sur les yeux du tueur au moment des meurtres, quelques jolis plans subjectifs qui nous placent du côté de ce tueur, un goût toujours prononcé pour les plongées et contre-plongées sur des escaliers monumentaux…).
Le résultat est très plaisant mais ne parvient pas au niveau des grandes œuvres du maestro…