Le médaillon (1946) de John Brahm avec Robert Mitchum, Laraine Day (Editions Montparnasse). Sortie le 20 août 2013

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Pour fêter dignement les 10 ans de la belle collection RKO, les éditions Montparnasse nous proposent sept films représentatifs de ce studio. L’idée de présenter les films d’un studio plutôt que ceux d’un cinéaste ou d’un comédien est excellente car elle permet d’appréhender l’histoire du cinéma en bousculant un peu les hiérarchies établies. L’idée avancée est que l’esthétique d’un film relève parfois moins de la toute-puissance d’un auteur que du résultat d’un ensemble de facteurs dont la patte du studio de production ne serait pas le moindre (c’est d’ailleurs dans ce sens qu’un Pierre Berthomieu revisite aujourd’hui l’histoire du cinéma).

La RKO a, bien entendu, abrité en son sein de grands auteurs (Welles en premier lieu mais également Jacques Tourneur dont nous parlerons très prochainement), de grands comédiens (Mitchum, Fred Astaire et Ginger Rogers…) mais c’est également à travers les « genres » que les studios imprimèrent leurs marques de fabrique (on sait l’importance des comédies musicales RKO dans l’évolution du genre mais également la manière dont Tourneur et Lewton réinventèrent le fantastique).

 

Cinéaste d’origine allemande, John Brahm n’a jamais marqué la mémoire des cinéphiles même si on lui doit un Jack l’éventreur qui garde une certaine notoriété. Le médaillon prouve à la fois qu’il possède un grand talent de metteur en scène mais qu’il a su aussi se fondre entièrement dans une certaine esthétique du studio.

Car ce qui frappe immédiatement en voyant ce film, c’est la manière qu’il a de s’approprier une certaine « grammaire cinématographique » inventée par Orson Welles. Comme Citizen Kane, Le médaillon est construit sur une série de flash-back qui permettent à Brahm d’étudier en profondeur le cas de son héroïne perturbée.

Alors qu’il s’apprête à se marier, John reçoit la visite d’un psychiatre, le docteur Blair qui lui raconte que Nancy (Laraine Day) fut autrefois son épouse et qu’elle souffre de troubles psychiatriques (elle est cleptomane). Premier flash-back. Alors que Blair convole joyeusement avec la belle Nancy, un autre jeune homme (Norman Clyde alias Robert Mitchum) se présente à son cabinet pour lui annoncer que cette femme est coupable d’un meurtre. Deuxième flash-back. Il y aura même un troisième flash-back dans ce film, construit comme un emboitement de poupées russes, qui permettra au spectateur de revivre un passage douloureux de l’enfance de Nancy.

Outre cette structure complexe, John Brahm joue également avec un certain brio sur les éclairages (ombres portées, contrastes importants…), sur la profondeur de champ -voir la superbe scène où Mitchum surprend la jeune femme sortir de la chambre d’un homme assassiné : dans l’arrière-plan, la femme de ménage qui arrive mais également, sur la gauche, des invités d’une réception qui vaquent tranquillement au rez-de-chaussée- ou encore sur les contre-plongées.

Le cadre du Médaillon est donc constamment inventif et d’une expressivité en parfaite adéquation avec un propos psychanalytique du récit (la scène finale est splendide et vire presque au cauchemar expressionniste). Comme le souligne Serge Bromberg (ses présentations des films de la collection sont toujours excellentes), le film est sorti juste après La maison du Docteur Edwardes d’Hitchcock et l’on sent désormais l’influence de la psychanalyse sur le cinéma américain. La femme « fatale » n’est plus ici une belle garce manipulatrice mais quelqu’un de perturbé par un choc traumatique qu’il faut soigner. D’une certaine manière, Nancy annonce l’héroïne cleptomane de Pas de printemps pour Marnie (même s’il n’est pas question de frigidité ici).

En combinant un propos ambitieux, des personnages fouillés et une mise en scène complexe (dans sa structure mais d’une parfaite lisibilité), John Brahm signe un très beau film qui permet de révéler un grand Robert Mitchum. En 1946, l’acteur vient d’être engagé par la RKO (on le reverra, pour le studio, chez Tourneur ou John Farrow entre autres) et il dégage ce mélange de cynisme, de violence et de séduction animale qui feront sa renommée.

Face à elle, Laraine Day (l’héroïne de Correspondant 17 d’Hitchcock) est impeccable dans la mesure où elle joue toujours sur la même tonalité, peaufinant ainsi l’ambiguïté du personnage sans « alourdir » le rôle de tics ou de mouvements qui pourraient la trahir.

Une très jolie découverte…  

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