La grande illusion
Colonel Blimp (1943) de Michael Powell et Emeric Pressburger avec Roger Livesey, Deborah Kerr, Anton Walbrook (Editions Carlotta Films)
Sortie le 5 novembre 2012
Même si on ne peut bien évidemment pas parler de film de propagande à propos de Colonel Blimp, on peut néanmoins constater qu'il s'agit d'une œuvre de circonstance. Tourné en 1943, le film de Powell et Pressburger embrasse un demi-siècle de l'histoire européenne (sous l'angle des relations anglo-allemandes) et s'inscrit dans une logique d'effort de guerre. Pour autant, même si l'ennemi est désigné sans ambiguïté (l'impérialisme allemand en 14-18, le nazisme en 39), Colonel Blimp est une œuvre qui sait rendre subtil un genre qui ne s'y prête pourtant pas facilement.
D'une certaine manière, à travers cette histoire d'amitié entre deux officiers venus de pays belligérants, Powell et Pressburger réalisent une sorte de Grande illusion britannique. Le récit débute réellement (il s'agit d'un long flash-back) à la fin du 19ème siècle lorsque Clive Candy se rend à Berlin pour faire taire de fausses rumeurs lancées contre l'armée anglaise. Après un duel qui tourne mal, il se lie d'amitié avec son adversaire allemand.
Ces deux destins liés (auxquels il faut ajouter celui d'une femme qui a le doux visage de Deborah Kerr) vont permettre aux cinéastes de tisser une ample toile de fond historique où seront évoquées les guerres des Boers, la première guerre mondiale et la montée du nazisme...
Colonel Blimp se veut à la fois une œuvre didactique (tirer la sonnette d'alarme quant au danger que représente le nazisme) et une œuvre romanesque mêlant destinées individuelles et drames collectifs. Powell joue également sur les ruptures de ton, débutant sur un mode humoristique (les prémices du duel par orchestre interposé, les conséquences du duel...) avant de lester le film d'une mélancolie assez poignante. Car en plus du contexte dramatique dans lequel évoluent les personnages, les cinéastes proposent à la fois une méditation assez fine sur le temps qui passe et une réflexion sur ce qui a pu changer au cœur même des traditions (guerrières) britanniques.
Clive Candy et son ami sont de la « vieille école » : pour eux, les anglais et leurs alliés ont gagné la première guerre mondiale en se conduisant loyalement et en menant une guerre « honnête » (si tant est qu'une guerre puisse l'être!) malgré les méthodes allemandes (considérées comme malhonnêtes).
Sans connaître parfaitement l'Histoire de nos amis anglais, je suppose que cette vision du monde correspond à celle que certains ont également voulu appliquer à l'égard de l'Allemagne nazie. Or à travers la fougue de jeunes soldats, Powell et Pressburger montrent que ces méthodes « à l'ancienne » ne peuvent plus avoir cours et qu'il faut désormais user des mêmes moyens brutaux et déloyaux que l'ennemi.
Pour ma part, je dois avouer que tous les aspects relatifs à la guerre m'ont laissé un peu indifférent. D'une part, parce que je n'ai aucune attirance pour ce genre particulier, d'autre part, parce qu'aussi parfaitement réalisé soit-il (belle utilisation de la couleur, mouvements de caméra d'une rare élégance...), Colonel Blimp m'a semblé un poil longuet et pas toujours passionnant.
Plus intéressant, en revanche, est l'aspect sentimental et discrètement mélodramatique de l’œuvre. Dans la tourmente de l'Histoire, il y a une femme aimée secrètement par deux hommes : l'un l'épousera tandis que l'autre cherchera tout au long de sa vie son image, au point d'épouser son « sosie » et d'engager, à la fin de sa vie, une autre jeune femme ayant son physique. Cette sorte d'idéal féminin qui ne dit pas son nom est assez caractéristique du romantisme maladif et tourmenté du cinéma de Powell (qui culminera avec le splendide Voyeur, son meilleur film).
Chez lui, les femmes sont de pures « images » qu'il est difficile d'approcher (soit nonnes comme dans Le Narcisse noir ou sorcières comme dans La renarde) et qu'il faut « tenir à distance » sous peine de sombrer dans le feu de la passion.
Malheureusement, Colonel Blimp ne creuse peut-être pas assez ce sillon sentimental et opte davantage pour une fresque romanesque qui permet aux cinéastes de tenir un discours à la fois engagé et humaniste. Il ne s'agit pas de faire du « boche » un ennemi héréditaire mais de montrer comment les circonstances peuvent éloigner les individus. Car au-delà des conflits des nations, il y a les hommes et leurs « affinités électives » qui dépassent, fort heureusement, le cadre étriqué des frontières.
Il y a sans doute du Renoir dans Colonel Blimp mais je dois avouer que le résultat ne m'a pas passionné. Encore une fois, il s'agit d'un beau film mais pas de ceux qui m'émeuvent et me transportent...