Maps to the stars (2014) de David Cronenberg avec Julianne Moore, Mia Wasikowska, John Cusack, Robert Pattinson

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Maps to the stars pourrait être une nouvelle version de The brood (Chromosome 3) tant Cronenberg renoue avec ce qui a toujours nourri son cinéma : les liens du sang, la progéniture monstrueuse née de parents abominables... Sauf qu'en 2014, le cinéaste n'a plus besoin de filmer des excroissances anatomiques ou des êtres mutants se repaissant de sang : c'est le monde dans son ensemble qui est devenu monstrueux et unifié dans cette monstruosité. Certains ont reproché à Cronenberg de fustiger Hollywood de manière caricaturale et de ne pas aller plus loin qu'une petite satire convenue. Or c'est absolument faux : ce qui peut gêner dans Maps to the stars, c'est que le cinéaste prend bien soin de ne jamais adopter un point de vue surplombant sur ce qu'il montre. Pour se moquer du caractère factice d'Hollywood, il faudrait qu'il existe un univers « réel » à opposer à cet artifice généralisé. Or ce « monde » n'existe plus et ce n'est finalement pas la dimension satirique qui passionne dans ce film (même si on ne peut pas totalement l'éluder) mais la manière dont le leurre est devenu la « vérité » même de notre époque (pardon pour l'oxymore).

Un exemple parmi tant d'autres ? A la puissance du fric devenu fou et ayant remplacé toute autre valeur, le spectateur serait tenter de chercher un personnage probe, issu du peuple et opprimé. Or le chauffeur du film a le visage angélique de Robert Pattinson qui rêve de cinéma et qui tourne dans de stupides séries de science-fiction ! Quant à Agatha (Mia Wasikowska), elle a beau être engagée comme simple assistante de la comédienne Havana (Julianne Moore), elle est très « amie » avec Carrie Fisher avec qui elle échange beaucoup sur Twitter ! L'univers dans lequel évoluent les personnages est un univers sans frontières.

 

Du coup, cette unification d'un monde illusoire où toute critique devient systématiquement le spectacle de la critique rappelle furieusement Le loup de Wall Street de Scorsese. Il est d'ailleurs assez amusant de mettre en parallèle l'évolution de l’œuvre de Cronenberg avec celle de cinéastes peu ou prou de sa génération, que ce soit Scorsese ou De Palma.

Ces trois artistes visionnaires ont souvent anticipé le monde à venir en partant d'un monde « ancien » : avènement de la « nouvelle chair » chez Cronenberg (de Videodrome à eXistenZ en passant par le sublime Crash) ; prolifération des images et du « leurre » chez De Palma, chute d'un monde ancien fondé sur des valeurs (aussi critiquables soient-elles) et avènement d'un « Disneyland pré-fasciste » comme dirait Jérôme Leroy (Cf. Casino).

Puis les choses se sont emballées et notre monde a non seulement rejoint les « prévisions » de ces cinéastes mais les a aussi dépassées. Plongés dans ce grand bain qu'ils avaient annoncé, ces auteurs tentent aujourd'hui de reprendre le pouls de leur époque en montrant qu'il n'y a désormais plus de place pour un point de vue « critique » et extérieur. Chez De Palma, l'image peut a peine être critiquée comme une illusion puisque c'est l'univers dans son ensemble qui est devenu images et leurres (Redacted, Passion). Chez Scorsese, le parcours initiatique de son trader est désormais dénué de ces notions qui constituaient le cœur de son œuvre : rédemption, sentiment de culpabilité... Son « loup de Wall Street » n'est qu'un symptôme d'un monde devenu fou et non un « personnage » (il n'existe d'ailleurs que par la crédulité de ceux qui l'ont fait maître : Cf. l'extraordinaire dernier plan du film).

Chez Cronenberg, le processus est à peu près semblable : la monstruosité est partout et que ce soit dans l'excellent Cosmopolis ou ici, rien n'existe en dehors de cet univers glacé où règne le fric à foison, la drogue, l'absence de tout scrupules moraux...

Les seuls soubresauts qui peuvent rappeler un monde « ancien », ce sont les révoltés de Cosmopolis qui attaquent la limousine ou cette fameuse scène où Havana dialogue longuement avec son assistante assise sur le trône tandis que la bande-son ne laisse rien ignorer des pets qu'elle laisse échapper. Je n'ai pas encore vu Adieu au langage mais il semblerait que la dimension « scatologique » y occupe également une place importante. Tout se passe comme si à l'heure de la plus haute technicité, la seule part de l'individu résistant encore à cet univers aseptisé serait ce retour des besoins primaires comme un dernier écho à notre sauvagerie.

 

Comme Le loup de Wall Street mais d'une manière totalement différente, Maps to the stars est construit sur une logique de flux. Les séquences « oniriques » (totalement fascinantes) du film s'inscrivent parfaitement dans un même continuum d'images qui, parfois, prolonge les actions commencées « en rêve ». Du coup, ces échappées vers un inconscient troublé renforcent ce sentiment que l'univers décrit, y compris dans ce qu'il a de plus refoulé et de plus monstrueux, est un même grand Tout factice. D'un côté, des adultes totalement névrosés et capables de se réjouir de la mort d'un enfant si cela permet de décrocher un rôle (scène que Julianne Moore, absolument époustouflante tout au long du métrage, joue avec une folie glaçante) ; de l'autre, des « enfants rois » qui se droguent, qui ont totalement perdu le sens de la mesure ; enivrés qu'ils sont par l'argent et le pouvoir qu'il confère (lors de scènes de discussions, on croit revoir The Bling Ring dépouillé de l'aspect chic et toc du film de Coppola).

 

Maps to the stars est donc un véritable film d'horreur. L'horreur d'une époque où les crimes des enfants sont inextricablement liés à la monstruosité des parents, à des rapports incestueux qui ne peuvent que finir dans le sang. Le portrait d'un monde terrifiant où tout n'est qu'illusion mais où rien ne peut désormais exister hors de cette illusion. C'est aussi une farce qui n'hésite pas à appuyer là où ça fait mal (Ah, l'espèce de gourou incarné par un excellent John Cusack !) sans pour autant prendre la posture du satiriste moralisateur.


Après le très abstrait Cosmopolis, Cronenberg signe un nouveau film percutant sur un monde en décomposition : le nôtre.

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