Frantic (1987) de Roman Polanski avec Harrison Ford, Emmanuelle Seigner

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Même parmi les zélateurs de Polanski, Frantic ne jouit pas d’une très bonne réputation. Pourtant, avec un peu de recul, on constate qu’il s’agit sans doute du dernier grand film qu’il ait tourné, à la fois thriller impeccablement huilé et œuvre hantée par la disparition d’une figure féminine et empreinte d’un certain malaise existentiel.

Le film débute un peu à la manière de La mort aux trousses d’Hitchcock. Richard Walker, brillant chirurgien, se rend à Paris avec son épouse pour participer à un colloque. Arrivé à son hôtel, il constate que la valise de sa femme a été échangée avec une autre. Cette permutation va être le point de départ d’une série de catastrophe : madame Walker disparaît et son mari se lance dans Paris à sa recherche…

 

D’Hitchcock, Polanski adopte le principe du « MacGuffin », ce petit point de détail (ici, un échange de valise) qui fait figure de prétexte et permettant au cinéaste de déployer sa mise en scène. Comme dans La mort aux trousses, le récit se déroule sur une simple confusion et repose finalement sur du vide. Un innocent est pris dans un engrenage qui le dépasse et qui tente de le broyer. Polanski s’amuse beaucoup avec les clins d’œil au maître : les séquences sur les toits de Paris peuvent rappeler l’ascension du mont Rushmore dans La mort aux trousses, l’apparition d’une nouvelle femme (Emmanuelle Seigner) sur la route de Walker évoque parfois Vertigo (nous y reviendrons) et pourquoi ne pas voir quelques réminiscences de Psychose (la disparition a lieu pendant que Walker est sous la douche) ou d’Une femme disparaît.

Mais Polanki ne se contente pas d’un pur pastiche ou d’une relecture « postmoderne » (à la manière de De Palma) de l’œuvre du maître. Il s’appuie sur quelques pistes narratives connues des spectateurs pour irriguer cet univers de ses obsessions.

 

La grande réussite de Frantic, c’est de présenter à nouveau le portrait d’un homme seul, égaré dans un univers absurde et hostile. Mais plutôt que de jouer sur la paranoïa du héros comme dans Le locataire, il confronte ici un américain (Harrison Ford, incapable de baragouiner deux mots de français) et une France devenue un décor presque inquiétant. Dès la première séquence, le couple se trouve coincé dans des embouteillages. A mesure que le récit avance, toutes les embûches imaginables se présenteront face à notre héros égaré dans un univers kafkaïen : les tracasseries administratives (la séquence très drôle où Walker a un mal fou à entrer dans l’ambassade américaine), les lenteurs de la bureaucratie (les flics français sont plus occupés avec la paperasse que par l’idée d’agir), les barrières de la langue ou même la porte fermée à clé de l’appartement de Michelle qui obligent les personnages à entrer par les toits…

On retrouve alors ce qui fait la grande force du cinéma de Polanski : une espèce de rire grinçant (avec ses patrons de bistrots aimables comme des portes de prison et ses clodos pittoresques, le parisien n’est pas vu sous son meilleur jour !) qui confine au malaise. Au cours de certaines séquences (notamment celles tournées dans ces grands couloirs d’hôtel vide),  le cinéaste renoue avec les grands moments de Répulsion ou du Locataire et parvient à faire sourdre du mystère et un malaise du quotidien le plus trivial.

 

Cette réussite, il la doit aussi à son complice habituel, le scénariste Gérard Brach. La qualité de l’écriture du scénario est ici en parfaite adéquation avec les obsessions de Polanski.

 

Il faut également noter que Frantic possède une dimension plus secrète, presque morbide, qui renvoie à Vertigo.

A la fin du film, pour retrouver sa femme, Walker doit « sacrifier » d’une certaine manière la jeune fille qui l’a accompagné pendant un moment (Emmanuelle Seigner). Lors de l’échange final, les deux héroïnes sont habillées de rouge et apparaissent vraiment comme les deux faces de la même médaille. Pour que l’une vive, il faut que l’autre meure et cette dimension renvoie bien entendu (tous les commentateurs l’ont souligné) à l’histoire personnelle du cinéaste et à l’assassinat de Sharon Tate.

 

Mais finalement, ce n’est pas la dimension la plus essentielle de Frantic qui est à la fois de captiver le spectateur avec les ficelles du thriller hitchcockien (parfaitement maitrisées ici) et de faire sourdre un malaise, une angoisse existentielle de même nature que celle qu’on retrouve chez Kafka : celle de l’individu égaré dans un milieu hostile et victime d’un environnement qui le dépasse…

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