La nature et la grâce
The tree of life (2010) de Terrence Malick avec Brad Pitt, Jessica Chastain, Sean Penn
Deux grands et rares cinéastes américains sont revenus sur le devant de la scène en l’espace de quelques semaines. Leurs films ont été accueillis avec la même tiédeur, entre respect poli et aveux de déception. Pourtant, alors que Road to nowhere de Monte Hellman a été scandaleusement ignoré par la presse (beaucoup de petites notules camouflées dans la forêt des sorties hebdomadaires), Tree of life de Terrence Malick bénéficie d’une couverture médiatique assez impressionnante (redoublée par l’obtention de la palme d’or au dernier festival de Cannes).
Je veux bien admettre que Badlands est un très, très grand film mais je me demande aussi si ce cinéaste ermite, adepte comme Kubrick des longues périodes sans tourner, n’est quand même pas un poil surestimé (Les moissons du ciel ne me paraît pas exceptionnel et Le nouveau monde a des côtés un peu fumeux). Bref, il me semble un peu injuste d’avoir balayé d’un revers de la main le passionnant dernier opus du grand Monte Hellman pour se jeter comme des chiens enragés sur l’os Malick qui signe pourtant ici l’un de ses films les plus contestables.
Cette réserve posée, je ne suis pas non plus détracteur d’un film qui a aussi de belles qualités. Pendant une bonne partie de la projection de Tree of life, je me suis demandé à quel style de peinture je pourrais relier le style unique du film, construit sur un va-et-vient permanent entre les souvenirs et le monde actuel, sur des bribes d’un quotidien passé, sur des mouvements sinueux de caméra et d’incessants « jump cut ». Je penchais d’abord pour une touche impressionniste ou pointilliste permettant de dresser un tableau nuancé d’une famille du Midwest coincée entre l’éducation rigide qu’un père de famille (Brad Pitt) souhaite inculquer à ses enfants et le deuil … Et puis arrive un plan sur un champ de tournesols et je me suis dis que Van Gogh était peut-être la référence la plus indiquée.
Comme chez le peintre, la description des êtres et des choses chez Malick est toujours « en mouvement » (il n’y a quasiment pas un seul raccord « classique » dans l’œuvre, pas un usuel champ contrechamp) et il parvient à donner une valeur expressive à chaque moment de cette fable intimiste. Quant aux éléments naturels, ils sont dotés d’une « vie » propre et reflètent aussi bien les états d’âme des personnages que les interrogations « cosmiques » du cinéaste.
Il y a quelque chose d’assez subtil dans la narration de Tree of life, une manière de faire apparaître des motifs (l’enfance, le deuil, l’autorité paternelle, l’éducation des enfants…) en procédant par petites touches et en réunissant les éclats d’un passé révolu (l’homme pressé incarné par Sean Penn se souvient, au cœur même des buildings de la modernité, de son enfance dans le Midwest) en les juxtaposant de manière impressionniste et sensorielle.
De cette façon, le film prolonge les thèmes chers au cinéaste : l’opposition classique entre la Nature et la Culture, la nostalgie d’un « paradis perdu », le sentiment très rousseauiste que la civilisation corrompt la bonté naturelle de l’homme à l’état sauvage… A trop vouloir élever durement ses fils, le père (Brad Pitt n’a peut-être jamais été aussi bon) finit par les « perdre », à corrompre leur « innocence naturelle ». Chez Malick comme chez Rousseau (ou les penseurs américains qui l’ont toujours influencé : Thoreau, Emerson…), la Nature est bonne par essence et il règne chez lui la nostalgie d’une harmonie primitive entre les individus et la planète.
Tree of life est donc une tentative de réconcilier la Nature et la Grâce dans une vision aussi panthéiste que mystique du monde. L’honnêteté nous pousse à dire que le lyrisme avec lequel le cinéaste s’acquitte de ce mysticisme est parfois assez touchant, surtout à l’heure où règnent le second degré généralisé et le cynisme grinçant.
Mais, dommage collatéral, il faut également reconnaître qu’il franchit quelque fois les frontières du grotesque et du ridicule, notamment le temps d’un final lelouchien particulièrement raté et d’une longue séquence « abstraite » qui évoque aussi bien (au mieux !) les délires cosmiques d’un Stanley Kubrick (on songe à la fin de 2001, l’odyssée de l’espace) que les clichés New Age d’un Yann Arthus-Bertrand (au pire !). Il ne manque parfois qu’une musique de flûte de pan pour illustrer ces passages « cartes postales » où Malick mêle l’infiniment grand (des plans de l’espace, le big bang, des éruptions volcaniques…), l’infiniment petit (certaines formes évoquent des organismes vus au microscope) et…le n’importe quoi (le passage avec les dinosaures est quand même difficile à avaler !).
Finalement, l’opposition entre cette histoire de famille (assez simple même si la narration est assez complexe) et une volonté ostentatoire de l’enrober dans une soupe mystique assez indigeste ne fonctionne que par intermittence.
Plutôt que de jouer au démiurge hanté par la maîtrise absolue, Malick gagnerait sans doute à revenir à une certaine simplicité et à se concentrer, comme il sait si bien le faire, sur les sentiments et émotions qui soudent et éloignent les individus…
NB : Le film a déjà suscité pas mal de commentaires chez les amis et voisins internautes.
On pourra donc lire l’excellente analyse de l’ami Joachim qui, à l’occasion du festival de Cannes, revient alimenter son blog pour notre plus grand plaisir.
Ensuite, chez Ed, on pourra trouver un avis assez proche du mien tandis que chez une autre Ed, c’est le négatif qui l’emporte.
Et puisqu’il faut être honnête, précisons que les admirateurs du film en parlent aussi très bien, à l’image de notre ami et collègue de bureau Timothée.