La Nouvelle Vague, côté courts
Le festival de courts-métrages de Dijon Fenêtre sur courts s’est terminé hier et a récompensé un très joli film d’animation intitulé Le petit dragon (B.Collet), hommage très inspiré, à la fois drôle et poétique, à Bruce Lee et à son « esprit ».
Mais ce n’est pas de la compétition actuelle dont il va être question aujourd’hui mais des cinq courts-métrages projetés hier en hommage à la Nouvelle Vague.
En (re)découvrant ces petits films tournés entre 1958 et 1964, on réalise la vitalité de ce mouvement aujourd’hui décrié, l’audace des sujets abordés et du traitement cinématographique, la diversité des styles des cinéastes qu’on regroupa sous cette étiquette commune.
Le programme a débuté par un film de Jean-Luc Godard intitulé Charlotte et son Jules avec Jean-Paul Belmondo (c’était l’époque où les critiques des Cahiers titraient leurs films avec les prénoms Charlotte et Véronique : Charlotte et son steak (Rohmer), Tous les garçons s’appellent Patrick (Charlotte et Véronique) (Godard, sur un scénario de Rohmer), Véronique et son cancre (Rohmer)). Le film est un hommage au bel indifférent de Cocteau. Pendant un quart d’heure, on y voit Belmondo soliloquer et reprocher à Charlotte qui vient de revenir au foyer de l’avoir abandonné. Si le film fait un peu « exercice de style », on peut y voir les prémisses d’A bout de souffle : jeu exubérant et très « physique » de Belmondo (qui fut entièrement doublé par Godard, ce qui produit un effet étrange puisque les deux voix sont devenues très célèbres), scène de chambre étirée, malentendu entre les sexes (si Belmondo fait preuve d’une apparente misogynie –« il faut cogner »-, la mise en scène dément sans arrêt ce discours comme dans A bout de souffle et met en valeur le mystère de l’altérité). Jusque dans les mimiques d’Anne Colette, le film annonce le premier long-métrage de Godard. Pour cette raison et pour sa chute abrupte et drôle, le film mérite le coup d’œil.
Je connaissais déjà La luxure de Jacques Demy, le sketch que le cinéaste réalisa pour le film collectif Les sept péchés capitaux. Mais j’avoue que le revoir sur grand écran en compagnie d’un public réagissant très bien (le film fut applaudi à la fin) me l’a fait apprécier encore plus. On y voit les jeunes Trintignant et Terzieff déambuler dans les rues de Paris en toute liberté (la légèreté aérienne de la mise en scène de Demy corroborant cette impression) et discuter de la luxure que Trintignant associait, enfant, au luxe. Le film est fort drôle, audacieux (une toile de Bosch fait soudain apparaître aux yeux de Terzieff des tableaux de débauches à tous les coins de rue) et le mot « inceste » prononcé au détour d’une phrase nous rappelle qu’on est bien dans un film de Jacques Demy.
En revanche, je ne connaissais pas du tout Les veuves de quinze ans, un étonnant court-métrage du « père » du cinéma ethnographique Jean Rouch. Le film débute comme un « documentaire » sur la jeunesse des années « yéyé » avec statistiques à l’appui. Puis le cinéaste nous présente le quotidien de deux adolescentes des quartiers chics de Paris, l’une cultivant sa singularité en lisant Baudelaire, l’autre en devenant une fille de son « époque » (elle va dans les « boums », couche avec des garçons…). Le film est extrêmement audacieux dans sa manière de parler crûment de la sexualité et il frappe aussi par son caractère visionnaire en ce sens que Rouch montre l’aliénation d’une jeunesse placée sous le joug de la société de consommation et sommée de se plier à ce moule. Il y a dans ce court un magnifique face-à-face entre la jeune fille « dévergondée » qui devient « modèle » et son photographe que joue Maurice Pialat. En quelques phrases échangées, Rouch dit tout de l’illusoire liberté que procure la société de consommation alors qu’elle ne fait que réifier les êtres. Il y a une vraie tristesse dans ce film où les adolescentes pensent que, plus tard, elles seront « malheureuses comme tout le monde » et que lorsqu’elles seront vieilles (« à 25 ans» (sic !)), elles se marieront et alors « ça sera la fin »…
Plus joyeux quoique non dénué d’une vraie mélancolie, Du côté de la côte d’Agnès Varda, « documenteur » sur la Côte d’Azur que la jeune cinéaste tourna en 1958. De ce film, on dira qu’il fait partie d’une de ces « plages d’Agnès » et qu’il est déjà totalement caractéristique du style de la cinéaste ; ce style fait de bric et de broc où l’on passe sans arrêt du coq à l’âne (des touristes bronzant sur les plages aux écrivains ayant fréquenté la Riviera), de l’humour le plus enlevé (les cadrages inventifs que la cinéaste trouve pour offrir une vision cocasse des plages du Sud) à la mélancolie la plus touchante (les vues sur les cimetières de la Côte). Une jolie réussite.
Enfin, je suis content d’avoir découvert Une histoire d’eau, le film coréalisé par les frères ennemis Truffaut et Godard. Toute la Nouvelle Vague est dans ce délicieux court-métrage : les jeunes cinéastes profitent d’un évènement du moment (de grosses inondations ayant coupé les routes de la région parisienne) et improvise un petit scénario s’inscrivant dans cette réalité (une étudiante qui tente d’aller à la fac et qui se fait prendre en auto-stop par un jeune séducteur interprété par Jean-Claude Brialy). Revu aujourd’hui, le film est davantage caractéristique du style de Godard que de celui de Truffaut : goût de la citation (Chandler, Aragon, Larbaud, Eluard, Giraudoux…), de la déconnection entre l’image et le son (tout le film est raconté en voix-off), des raccourcis saisissants et des calembours les plus réjouissants.
Une histoire d’eau est un film totalement caractéristique de la Nouvelle Vague dans ce qu’elle a de meilleur : drôle, enlevé, incroyablement vivant et capable de saisir sur le vif son époque.