La prisonnière
Fedora (1978) de Billy Wilder avec William Holden, Marthe Keller, José Ferrer, Henry Fonda (Editions Carlotta Films) Sortie le 26 février 2014
Dans le Guide des films de Jean Tulard, la notice concernant Fedora est particulièrement assassine. L'auteur parle d' « un film médiocre, largement surestimé par la critique française » ou encore d'une histoire qui « sent la peau flasque et les rêves morts ».
A l'inverse, la réédition en DVD (très beau travail des éditions Carlotta qui proposent en supplément un documentaire complet sur l'histoire du film) a donné lieu à un engouement assez étonnant pour cette œuvre crépusculaire du grand Billy Wilder (il s'agit de son avant-dernier film).
Pour ma part, je dois reconnaître que je me situe entre ces deux positions extrêmes. Si Fedora ne mérite en aucun cas l’opprobre et possède d'indéniables qualités, il faut également avouer que ce n'est pas une œuvre parfaite et que ce n'est pas rendre service au cinéaste que de la porter aux nues dans la mesure où il a déjà fait beaucoup mieux.
Près de trente ans après, Wilder retrouve William Holden, l'acteur de Sunset boulevard, et nous propose une espèce de « remake » de son grand classique remis au goût du jour. Le film débute d'ailleurs un peu de la même manière, à savoir par une mort. Cette fois, c'est l'ex-star hollywoodienne Fedora qui se jette sous les roues d'un train à la manière d'Anna Karénine. Lors de ses funérailles, le producteur Barry Detweiler (William Holden) se souvient de sa dernière rencontre avec elle. C'était deux semaine avant sa mort, à Corfou, où il avait tenté de la convaincre de revenir devant la caméra. Mais les choses furent bien compliquées puisque l'entourage de Fedora (une vieille comtesse et son mari, un mystérieux docteur) fit tout pour empêcher qu'on l'approche.
Une fois de plus, Wilder montre l'envers du décor Hollywoodien et présente un univers cruel et impitoyable pour les comédiens vieillissants. Mais à la beauté mortuaire et quasi-expressionniste de Sunset Boulevard succède ici un film amer et plein de ressentiment (l'ex-star peste contre le « Nouvel Hollywood » et ses cinéastes barbus tout en fustigeant « l'immonde cinéma-vérité »). Fedora est un film funèbre, un « chant du cygne » où Wilder évoque la fin des studios hollywoodiens avec beaucoup de nostalgie. Cette nostalgie se lit sur le visage ravagé de William Holden mais également lorsque Henry Fonda vient faire une petite apparition pour remettre un Oscar d'honneur à Fedora en guise d'ultime tout de piste.
Le côté « tombeau » du film est sans doute son aspect le plus intéressant. A cela s'ajoute une jolie réflexion sur l'âge et le vieillissement. Pour ce faire, Wilder procède d'une manière assez étrange et scinde en son milieu le film. Le flash-back se termine et nous revenons au moment des funérailles pour que l'entourage de Fedora puisse révéler à Detweiler les tenants et aboutissants du mystère entourant cette femme dans une deuxième partie à nouveau en flash-back. Je ne révélerai pas le pot-aux-roses pour ceux qui n'ont jamais vu le film mais c'est avec une grande cruauté que le cinéaste montre la terreur de vieillir et cette volonté illusoire des stars de vouloir rester éternellement jeune. A l'instar de Dorian Gray dans le roman de Wilde, Fedora trouve un subterfuge pour ne jamais ternir son image mais cette solution la conduira irrémédiablement à la tragédie.
A certains moments, Wilder frise le fantastique gothique et cette veine « monstrueuse » produit des effets assez étonnants.
Mais paradoxalement, c'est aussi cette construction en deux longs « flash-back » qui constitue la limite du film. D'une part, parce qu'elle alourdit considérablement la narration (le film n'est pas exempt de longueurs), d'autre part, parce qu'elle paraît un peu artificielle. A l'inverse de la douce nonchalance nostalgique d'Avanti ! (autre film européen du cinéaste), Fedora est un film beaucoup plus aigre qui hésite entre un classicisme un poil poussiéreux (avouons néanmoins que la musique de Miklos Rozsa est magnifique) et une narration plus « moderne » (le côté Vertigo du film)qui ne fonctionne pas totalement.
On dira donc volontiers que Fedora est, selon la formule consacrée, un film « malade ». Une œuvre étrange, un peu boiteuse et amère, mais qui séduit aussi par son côté funèbre et morbide.