La revanche des sorcières
Néa (1976) de Nelly Kaplan avec Sami Frey, Ann Zacharias, Micheline Presle, Françoise Brion, Ingrid Caven
Mes chers lecteurs connaissent sans doute depuis longtemps mes nombreux griefs contre le féminisme-flic à la Alonso/Despentes/Autain et je vais sans doute me répéter en écrivant que le « féminisme » ne m'intéresse que dans la mesure où il porte en lui un projet global d'émancipation de l'individu, homme ou femme. S'il ne s'agit que d'un combat « communautariste » (Ah bon, toutes les femmes sont identiques et pensent la même chose?) ou pour de ridicules quotas, je ne vois pas l'intérêt mis à part d'apporter la preuve qu'une femme peut être aussi con qu'un homme lorsqu'elle devient militaire, flic ou chef de bureau ! Il suffit d'ailleurs d'écouter deux secondes Marine Le Pen, Nadine Morano ou Ségolène Royal pour devenir presque aussi tolérant vis-à-vis du féminisme qu'un Michel Sardou ou un Jean-Marie Bigard !
A côté de ça, nous portons volontiers un toast aux flibustières qui n'ont pas sombré dans l'idéologie et pour qui l'amélioration de la condition féminine a toujours fait partie d'un projet révolutionnaire global. Comme Louise Michel, Annie Le Brun ou la Christiane Rochefort des Stances à Sophie, Nelly Kaplan fait partie de ces sympathiques pétroleuses toujours prêtes à nous mettre les yeux en face des troubles. Si les cinéphiles ont encore en mémoire sa réjouissante Fiancée du pirate, il ne faut oublier qu'elle est aussi écrivain (je rêve de trouver les ouvrages qu'elle a écrit sous le pseudonyme de Belen), qu'elle fut proche des surréalistes et d'Abel Gance.
Avec Néa, elle adapte à l'écran une nouvelle d'Emmanuelle Arsan (faut-il rappeler que l'écrivain connut la célébrité avec un roman – et aussi un film- portant son simple prénom?) qui narre les aventures d'une lycéenne turbulente (Ann Zacharias) qui décide de séduire un bel éditeur (le ténébreux Sami Frey) en écrivant un roman érotique...
Loin du navet de Just Jaeckin et de son esthétique papier glacé, Nelly Kaplan réalise ici un joyeux « philtre sorciéresque condamnant au bûcher toutes les « échasses du devoir et de la morale » [Dostoïevski] » (Noël Godin). Sa Sibylle ne dénote pas dans sa galerie de sorcières flamboyantes : outre d'excellents goûts littéraires (elle fauche sans vergogne des bouquins de Sade, d'Apollinaire, de Louÿs et... Le réservoir des sens de Belen!), c'est une révoltée permanente qui envoie bouler la morale bourgeoise que lui impose son père et qui applique à la lettre les conseils du divin Marquis : « Jeunes filles trop longtemps contenues dans les liens absurdes et dangereux d'une vertu fantastique et d'une religion dégoûtante, imitez l'ardente Eugénie, détruisez, foulez aux pieds, avec autant de rapidité qu'elle, tous les préceptes ridicules inculqués par d'imbéciles parents. ».
Si la mise en scène de Néa souffre d'un certain laisser-aller (le film est très marqué « années 70 »), elle est sauvée par les bouffées de chaleur subversive qui s'en dégage. Sybille est une adepte du « tout, tout de suite », du « quand on veut, on peut » et du « si je prends mes désirs pour la réalité, c'est parce que je crois à la réalité de mes désirs. »
A la veulerie de son amant, à la mesquinerie des règles sociales, elle oppose son indéfectible volonté. L'éditeur lui a promis de la revoir lorsque la neige aura fondu sur les toits d'une chapelle à la montagne (soit plus d'un trimestre plus tard) ? Qu'à cela ne tienne, elle mettra le feu au sanctuaire dans l'une des plus belles scènes de ce film ô combien allergique à toute forme de modération. Et lorsqu'elle s'apercevra qu'elle a été flouée par le vilain Alex, elle élaborera un plan diabolique pour assouvir sa vengeance (on retrouve le thème de La fiancée du pirate puisque c'est grâce à leurs corps que nos gredines font tomber -à tous les sens du terme- les hommes).
Dans le rôle de Sibylle, on retrouve la délicieuse Ann Zacharias découverte dans Les doigts dans la tête de Doillon et que l'on retrouvera également en fille de Louis de Funès dans L’aile ou la cuisse. Son visage angélique et « innocent » contraste délicieusement avec un caractère de fer et une volonté d'assouvir pleinement ses désirs quitte à réduire en flammes la chape de plomb familiale ou professorale (même si elles semblent un peu vieillottes aujourd'hui, les scènes au lycée sont assez amusantes).
A cela il faut ajouter une atmosphère qui flirte parfois avec la magie et la sorcellerie puisque notre héroïne se réfugie dans une sorte d'antre secret où elle fomente ses « coups » et apprend à devenir une bonne « sorcière », à savoir une femme rebelle, intransigeante et animée par la souveraineté de ses désirs.
Avec Néa, Nelly Kaplan ne fait pas mentir ce qu'elle écrivait en 1979 : « Je pense que l'habitude est l'antichambre de la mort et que c'est dans l'aventure qu'on peut rester vivant »...