La terre de la folie (2009) de et avec Luc Moullet

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Dans L’homme des roubines de Gérard Courant, Luc Moullet évoquait déjà l’influence des paysages très contrastés des Alpes du sud sur les comportements humains et le nombre élevé de « fous » dans sa famille. Avec La terre de la folie, il revient sur ce thème et réalise un documentaire sur ce qu’il appelle lui-même le « pentagone de la folie », périmètre damné où auraient eu lieu de nombreux crimes sans motif, liés à des accès de folie. 

Brassens, lorsqu’il mettait en musique Hugo, nous avait prévenu : «  le vent qui vient à travers la montagne/ Me rendra fou. » Partant de ce constat, Moullet se livre à une méticuleuse enquête, faisant raconter à de multiples témoins et avec force détails les faits divers les plus atroces, qu’ils soient fameux (l’affaire Dominici) ou purement locaux.

Il y a quelque chose qui relève de la pataphysique chez le cinéaste dont on goûte une fois de plus l’humour décalé et la voix inimitable. Professeur pince-sans-rire, il apporte une érudition et une rigueur scientifique pour arriver à des conclusions totalement loufoques (ainsi, phénomène étrange, le village au centre du « pentagone » est mystérieusement préservé de ces accès de folie) et aux théories les plus saugrenues (vous apprendrez que les patronnes de cafés et les postiers sont les victimes idéales des forcenés perdant la raison !).

La force du film, c’est de s'en tenir à un sérieux imperturbable qui confine, par accumulation, à l’humour noir le plus savoureux.

Lorsqu’un policier décrit avec minutie comment un boucher schizophrène a assassiné sa propre fille et l’a découpée en morceaux avant de la transporter dans des sacs poubelles, on est d’abord effrayé par ce fait divers épouvantable avant de se mettre à sourire devant tant d’horreurs (je sais très bien que tout cela n’a rien de « drôle » mais le principe d’accumulation n’est pas pour rien dans l’humour macabre qui se dégage de La terre de la folie).   

Au niveau de la forme, le film n’a rien d’exceptionnel (témoignages divers, plans « géographiques » assez beaux et bribes de « reconstitutions » des faits) mais ce qui fait l’intérêt de cette mise en scène, c’est le lien assuré par Luc Moullet lui-même qui intervient comme « fil directeur » du récit.

Sa voix imprime au film son tempo si particulier et son sens de l’anecdote farfelue (je recommande particulièrement un « entracte » absolument hilarant) lui permet de transcender tout ce que ces faits divers pourraient avoir de sordides et de complaisants.

De plus, sa présence donne au film son caractère éminemment personnel. La dernière séquence montre un affrontement burlesque entre Moullet et sa femme (comme au temps d’Anatomie d’un rapport)  où cette dernière reproche au cinéaste le caractère totalement dément de son enquête (il est vrai qu’on aurait sans doute des résultats semblables voire pires en se livrant au même jeu journalistique dans l’Yonne !). Elle lui dit clairement qu’il s’agit d’un prétexte pour mettre en scène sa propre folie. Et c’est sans doute d’ailleurs ce qu’il y a de beau dans le film : plutôt que de tuer sa femme ou sa fille (activités nobles mais malheureusement encore mal acceptées en raison de stupides préjugés ancestraux imbibant nos concitoyens !), Moullet a choisi de faire de sa « folie » une œuvre, à la fois cinématographique mais aussi « critique » (ses analyses cinématographiques étant frappées de cette même logique pataphysicienne hilarante).

Du coup, ce documentaire qui peut se voir comme un essai d’investigation policière (Moullet rêve d’élucider une enquête comme le fit King Vidor) et sociologique (davantage une étude sur des comportements étranges dans une région particulière) est également une espèce de journal intime décalé où l’on retrouve toutes les obsessions du cinéaste.

Une fois de plus, notre cher Luc Moullet réalise un film totalement atypique, à la fois très sérieux et totalement loufoque, drôle sans être moqueur.

Un film qui ne ressemble qu’à lui !

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